Citations sur Qu'est-ce que l'art ? (28)
La définition de Véron, qui fait consister l'art dans l'expression des émotions, est inexacte, parce qu'un homme peut exprimer ses émotions par le moyen de lignes, de couleurs, de mots ou de sons, sans que son expression agisse sur autrui; auquel cas il ne saurait s'agir d'une expression artistique.
L'art est une forme de l'activité humaine consistant, pour un homme, à transmettre à autrui ses sentiments, consciemment et volontairement, par le moyen de certains signes extérieurs.
Chapitre IV : Le rôle propre de l'art.
Le mérite des sujets, dans toute œuvre d'art, dépend de leur nouveauté. Une œuvre d'art n'a de prix que si elle transmet à l'humanité des sentiments nouveaux. De même que, dans l'ordre de la pensée, une pensée n'a de valeur que quand elle est nouvelle et ne se borne pas à répéter ce que l'on sait déjà, de même une œuvre d'art n'a de valeur que quand elle verse dans le courant de la vie humaine un sentiment nouveau, grand ou petit.
Chapitre VIII : Les conséquences de la perversion de l'art : l'appauvrissement de la matière artistique.
Il n'y a pas d'école qui puisse provoquer chez un homme le sentiment, ni encore moins lui enseigner comment il pourra exprimer ses sentiments de la façon spéciale qui lui est naturelle.
Tout ce que les écoles peuvent enseigner, c'est le moyen d'exprimer des sentiments éprouvés par d'autres artistes de la façon dont les autres artistes les ont exprimés. Et c'est précisément là ce qu'enseignent les écoles professionnelles ; et leur enseignement, loin de contribuer à répandre l'art véritable, contribue au contraire à répandre les contrefaçons de l'art, faisant ainsi plus que tout le reste pour détruire chez les hommes la compréhension artistique.
Le professionalisme est la première cause de la diffusion parmi nous des contrefaçons de l'art.
La seconde cause est la naissance, toute récente, et le développement de la critique, c'est-à-dire de l'évaluation de l'art non plus par tout le monde, non plus par des hommes simples et sincères, mais par des érudits, des êtres à l'intelligence pervertie, et remplis en même temps de confiance en soi.
L'art est une activité qui permet à l'homme d'agir sciemment sur ses semblables au moyen de certains signes extérieurs afin de faire naître en eux, ou de faire revivre, les sentiments qu'il a éprouvés.
Les grandes oeuvres d'art ne sont grandes que parce qu'elles sont accessibles et compréhensibles à tous.
Cette tendance, — qui se traduisait par des allusions mythologiques et historiques, et aussi par ce qu’on a appelé l’euphémisme, — elle n’a pas cessé au fond de devenir de plus en plus en honneur jusqu’à l’époque présente, où elle paraît avoir atteint ses limites extrêmes dans l’art de nos modernes décadents. Elle a abouti, en fin de compte, à ceci : que non seulement l’affectation, la confusion, l’obscurité, l’inaccessibilité à la masse, ont été élevées au rang de qualités, — et même de conditions de poésie, — dans les œuvres d’art, mais que l’incorrect, l’indéfini, l’inéloquent eux-mêmes sont en train d’être admis comme des vertus artistiques.
Mais quand l’artiste n’a plus travaillé que pour un petit cercle de gens placés dans une condition exceptionnelle, pour des papes, des cardinaux, des rois, des ducs, ou simplement pour la maîtresse d’un prince, il ne s’est plus efforcé, naturellement, que d’agir sur ces gens, dont il connaissait bien les moeurs et les goûts. C’était là une tâche infiniment plus facile ; et ainsi l’artiste se trouvait involontairement amené à s’exprimer en des allusions, compréhensibles seulement pour les initiés, et obscures pour le reste des hommes. Il pouvait, d’abord, de cette façon dire plus de choses ; et puis il y a même, pour l’initié, un certain charme dans le vague et le nuageux d’un tel mode d’expression.
Cet appauvrissement des sources d’inspiration artistique s’est encore trouvé accru par ce fait que, cessant d’être religieux, cet art a cessé aussi d’être populaire, restreignant ainsi la série des sentiments qu’il pouvait transmettre. Car la série des sentiments éprouvés par les puissants et les riches, qui n’ont aucune notion du rôle du travail dans la vie, est beaucoup plus pauvre, plus limitée, et plus insignifiante, que la série des sentiments naturels à l’homme qui travaille.