Arche

Bambo (* le crapaud philosophe)

Le père Arruda avait erré sur de mauvais chemins.C'est ce qu'il avoua sincèrement à ses concitoyens sur le parvis de l'église, un dimanche.On lui rit au nez.Qui pouvait croire qu'un crapaud sût apprendre à quelqu'un les secrets de la vie ? Impossible.Et le père Arruda, déçu par une telle incompréhension, retourna à son arrosage et à son intime communion avec la nature.

( Éditions de l' Équinoxe, 1984, p.17)

Tenório (* le coq )

- Il chante drôlement bien votre coq, Maria !
- Oui, il n'a pas son pareil...
Vaniteux et sûr de lui , comme il est normal, déjà il ne se contentait plus de chanter au lever du soleil. Il chantait à minuit, au petit matin, et plusieurs fois par jour.
À minuit, c'était pas pur exhibitionnisme. À cette heure- là, il aimait à lancer au milieu du silence recueilli du hameau son cri effronté et subversif. Faiblesses humaines...Il profitait du fait que tout le monde dormait, pour sonner mâtines.Et, bien sûr, ça réveillait les morts !

( p.76)

Miúra

Les hommes, c'est ça : ou ils se montrent que juchés sur des chevaux rapides et bien protégés par des barbelés, ou ils édifient des murs en ciment armé entre eux et la raison des autres...


( p.110)

Vicente (**le corbeau rebelle)

Des heures et des heures l'Arche vogua ainsi, chargée d'incertitude et de terreur.Dieu allait-il contraindre le corbeau à revenir ? Ou bien le sacrifierait- il, purement et simplement, pour faire un
exemple ? Ou quoi encore ?

(...) En quel endroit de l'univers y avait-il encore un morceau d'espérance ?

( Éditions de l'Équinoxe, 1984, p.131)

Morgado (*** l'âne très vaillant)

En outre, les manières de son maître allaient jusqu'à rendre la paille immangeable. On se nourrit aussi de gentillesse.Surtout qu'à dire vrai, il aimait bien ce type. Depuis le jour, seize ans plus tôt, où à la foire du vingt- trois, il l'avait distingué parmi un régiment de bêtes de somme (...)

( p.59)

Bambo (* le crapaud)

Ignorance excusable, d'ailleurs. Les gens ne savent rien de leurs semblables. Chacun de nous est une énigme, qui la plupart du temps n'est jamais déchiffrée.


( Éditions de L' Équinoxe, 1984, p.15)

-Vicente-

Le sens de la vie était indissociablement lié à l'acte d'insubordination. (p.133)

Tenório (* le coq trop zélé)

L'étrange sensation qui le tourmentait n'était que le besoin de communiquer, d'annoncer au monde il ne savait trop quoi. Stupéfait, pris de peur et de honte, il serra la gorge, en un mouvement instinctif de défense. Mais rien n'y fit.Il allait éclater, s'il contenait encore le jaillissement de l'hymne par lequel il voulait saluer l'arrivée du jour !
Nulle volonté ne pouvait retenir le cri irrépressible qui le suffoquait.
Et il chanta.
Cocorico !...
Il réveilla tout le monde.Ce fut comme si brusquement la foudre était tombée sur le poulailler et avait tiré du sommeil sa mère , ses frères et ses cousines.


( p.72)

Vicente (**le corbeau rebelle)

Mais la divine autorité ne pouvait pas rester ainsi, trébuchante, incertaine, à la merci de la première subversion venue.Et l'instant de perplexité ne dura qu'un instant. Bientôt, la voix de Dieu retentit à nouveau dans le ciel immense,avec une sévérité tonitruante.
- Noé, où est mon serviteur
Vicente ?
Revenu de son lâche évanouissement, tremblant et confus, Noé tenta de se justifier.

- Seigneur, ton serviteur Vicente s'est échappé. Pourtant je n'ai pas sur la conscience de l'avoir offensé, ni de lui avoir refusé sa ration quotidienne.Ici personne ne l'a maltraité. C'est par pure désobéissance qu'il est parti.

( Éditions de L'Équinoxe, 1984, p.130)

Bambo ( * le crapaud)

Tout ça ne tenait pas debout, finalement. Fallait voir la réalité. Voir ce démon de batracien, brillant sous la lune et rêvassant comme un poète...Qui d'autre dans la paroisse se promenait ainsi plein de sérénité et de concentration dans le silence lourd d'étoiles ? Qui à ces heures mortes de la nuit, savait pareillement s'émerveiller, en regardant bouche bée la poussière dorée du chemin de Saint- Jacques, tracé dans le ciel ?
Personne, y compris le père Arruda lui-même. Présent au monde depuis soixante ans, et aveugle comme une taupe.Et les autres à l'avenant. Pour tous les habitants de Vilarinho, sans exception, la nuit était la nuit- de l'obscurité et rien d'autre.


( Éditions de l'Équinoxe, 1984, p.15)