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Critique de Darkcook


Aaaaaah, le retour aux amours tragiques, à la belle langue, au respect, à la nature... Hésitant entre plusieurs lectures de ce saint XIXe siècle, je jette mon dévolu sur Premier Amour de Tourgueniev, en en ayant une fausse idée : Je m'attendais à une idylle terrible, digne de Roméo et Juliette... Ce n'est pas vraiment ça.

Vladimir Petrovitch, la quarantaine, raconte, lors d'une soirée, son premier amour... Très simple principe du récit enchassé, il fonctionne à merveille. 95% de la nouvelle nous place ainsi dans sa peau et sa narration, lors de ses seize ans. On est instantanément dans un récit à l'écriture magnifique, où l'influence des Souffrances du jeune Werther se fait clairement ressentir, pour notre plus grand plaisir, sans toutefois ses élans cosmiques dans l'exaltation. le style est à la fois simple et émouvant, il n'y a aucune longueur... Que du bonheur. Je crois que le point qui fait grincer légèrement des dents le lecteur est l'antipathie suscitée par la dulcinée et voisine de Vladimir, Zinaïda. Entourée de prétendants (dont le narrateur), elle n'a de cesse, de son propre aveu, de jouer la princesse, de se moquer d'eux et de leur faire faire tout ce qu'elle veut... Cela s'améliore vers la fin de la nouvelle, lorsqu'on se met à comprendre vers où son coeur se porte, mais on est clairement pas chez les amants maudits de Vérone comme je l'aurais cru! Les prétendants sont assez drôles, du hussard Belovzorov, à la caricature de poète maudit romantique Maïdanov... Je salue aussi les discussions littéraires menées par les personnages, avec moult références à Shakespeare, Hugo... Et la francophonie toujours plaisante de Tourgueniev.

Un aspect intéressant et intriguant de cette nouvelle, outre l'histoire d'amour du héros, réside dans le rapport de Vladimir avec son père. On réalise très vite qu'il est dans une... fascination homo-érotique envers ce père qui incarne le modèle physique, charismatique, que le fils voudrait être, qui lui jette des miettes d'affection avant de se parer à nouveau de son manteau impénétrable d'indifférence... On est là ni chez Oedipe (puisque la mère n'a rien de désirable ici), ni chez le père terrifiant de Kafka, c'est un entrelacement des deux! Apparemment, Tourgueniev aurait représenté son propre père, et même si la nouvelle s'avère autobiographique, j'ignore s'il ressentait un tel trouble...

J'avais senti venir (ou plutôt j'espérais avoir raison) le retournement final de la nouvelle, et je suis heureux de l'avoir trouvé... J'ai passé un excellent moment, bien qu'évidemment inférieur à du Goethe, Hugo, Shakespeare, mais tout de même! Quelle belle écriture, baume dans notre siècle de fer...

Mon édition comporte deux autres nouvelles : L'Auberge de grand chemin, et L'Antchar. Si j'ai suivi la première avec un intérêt certain, c'est beaucoup moins mon univers et mes préoccupations : Tourgueniev chronique la vie des paysans russes, l'âpreté de leur condition, l'injustice d'une vie faite de privilèges qu'ils n'ont pas vraiment... Akim, le héros, subit une suite d'infortunes qui le grandiront. Mais L'Antchar m'a bien plus passionné : Nouvelle histoire d'amour tragique au milieu de la campagne, lors d'un été qui s'avérera un âge d'or éphémère... J'ai eu l'impression de lire un pré-Gatsby ou un pré-Agatha Christie, au milieu de mondanités hystériques ridiculisées qui cachent un malheur à venir. Les descriptions du cadre (la nouvelle s'appelle aussi "Un petit coin tranquille") sont féeriques, tout comme la scène au bois entre Marie et Vérétiev. La tragédie hamletienne qui va avoir lieu n'en a que plus d'impact. Je ne dirai rien de plus, si ce n'est que j'étais vraiment investi dans ce récit, autant que dans Premier amour! Ah et là encore, les références littéraires au coeur du récit font mouche, puisque L'Antchar est en réalité un poème de Pouchkine qui joue un rôle dans le texte. L'écriture de ces deux dernières nouvelles est cependant moins épurée que celle de Premier Amour, avec un traducteur différent, mais détient bel et bien son lot de perles.

Que je regrette cette époque... Maintenant, nous avons Cyril Hanouna et les emojis....
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