Citations sur La Télévision (21)
« […] il y avait plutôt lieu de se réjouir, dans le fond, que, depuis bientôt trois semaines, par scrupules exagérés et souci d’exigence perfectionniste, je m’étais ainsi contenté de me disposer en permanence à écrire, sans jamais céder à la paresse de m’y mettre. » (p. 115)
Je songeais avec effarement que nous étions dimanche matin, qu'il était un peu plus de neuf heures.
Et c'est alors que, continuant de regarder distraitement tous les téléviseurs allumés de l'immeuble d'en face, je fus frappé par la précense d'un téléviseur allumé tout seul dans un salon désert, nulle précense humaine ne se laissait deviner près de lui dans la pièce, un téléviseur fantôme en quelque sorte.
Enfin du bruit se fit entendre dans le couloir et Ursula apparut dans le salon. Elle pouvait avoir un vingtaine d'années, les cheveux noirs et pas coiffés, en robe de chambre en mousseline synthétique et pieds nus.
J'ai arrêté de regarder la télévision. J'ai arrêté d'un coup, définitivement, plus une émission, pas même le sport. J'ai arrêté il y a un peu plus de six mois, fin juillet, juste après la fin du Tour de France. J'ai regardé comme tout le monde la retransmission de la dernière étape du Tour de France dans mon appartement de Berlin, tranquillement, l'étape des Champs-Élysées, qui s'est terminée par un sprint massif remporté par l'Ouzbèke Abdoujaparov, puis je me suis levé et j'ai éteint le téléviseur. Je revois très bien le geste que j'ai accompli alors, un geste très simple, très souple, mille fois répété, mon bras qui s'allonge et qui appuie sur le bouton, l'image qui implose et disparaît de l'écran. C'était fini, je n'ai plus jamais regardé la télévision.
Je m'étais allongée dans l'herbe. Les yeux fermés, je sentais le soleil caresser mon visage, mes cuisses brûlaient sous la toile de mon pantalon, et je finis par enlever mes chaussures avec mes pieds, appuyant les orteils sur le talon pour les ôter l'une après l'autre . Me contorsionnant sur le dos, je fis glisser mon pantalon le long de mes jambes pour le retirer. Je restai une dizaine de minutes en culotte dans l'herbe à ne penser à rien, tellement j'avais chaud. Sous l'arbre la partie de ping-pong était terminée, la jeune fille assise sur le petit banc se changeait, enlevait ses chaussettes pour laisser respirer un instant ses orteils à l'air libre
une des caractéristiques de la télévision, quand on ne la regarde pas, est de nous faire croire que quelque chose pourrait se passer si on l’allumait .
Je refermai mon livre, que je posai à côté de moi sur la pelouse, et je m'étendit sur le dos en fermant les yeux. Je ne bougeai plus , et je me demandais si je n'étais pas en train d'essayer de me dérober à mon travail, en demeurent ainsi étendu sur la pelouse, les pieds nus dans l'herbe que venaient chatouiller de minuscules brins d'herbe qu'une brise légère couchait le long de mes orteils. En même temps, n'était-ce précisément cela travailler, me disais-je.
Il était près de cinq heures de l'après-midi (je venais de regarder l'heure distraitement), et je songeais qu'il était trop tard pour essayer de me remettre au travail maintenant.
p. 95
... je songeais que c'était pourtant comme ça que la télévision nous présentait quotidiennement le monde : fallacieusement, en nous privant, pour l'apprécier de trois des cinq sens dont nous nous servions d'ordinaire pour l'appréhender à sa juste valeur.
Par ne rien faire, j'entends ne faire que l'essentiel, penser, lire, écouter de la musique, faire l'amour, me promener, aller à la piscine, cueillir des champignons.
Or, c'est pourtant comme cela qu'il faudrait regarder activement la télévision : les yeux fermés.