Citations sur Made in China (12)
Sha Pan, impassible, regardait la caisse d'abeilles mortes avec indifférence. Il en saisit une poignée dans sa main, qu'il porta à son nez pour les humer. C'est des huîtres, dit-il.
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Le sujet de mon livre, c'est le pouvoir qu'a la littérature d'aimanter du vivant.
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N'avais-je pas intérêt, romancier que je suis, à enrober les réflexions théoriques que je voulais exprimer sur le hasard de la substance sensuelle de la vie même ?
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Mais peut-être que j'invente après tout, peut-être que ce type, aussi insignifiant soit-il, aussi négligeable soit son rôle dans cette histoire, n'a jamais existé, et que j'ai simplement inventé son existence pour donner un peu de piment romanesque à ce début de journée. Car même si c'est le réel que je romance, il est indéniable que je romance.
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J'avais renoncé depuis longtemps à l'idée d'apprendre le chinois, mais je continuais de m'intéresser à la pensée chinoise, à la manière dont la langue se construit, comment elle accueille les mots nouveaux (ces associations fulgurantes qui m'émerveillent, comme la juxtaposition des caractères "cerveau" et "électricité" pour dire "ordinateur").
Le sujet de mon livre, c’est le hasard dans l’écriture, c’est la disponibilité au hasard que requiert toute création artistique, aussi bien le livre que je suis en train d’écrire que le film que je m’apprête à tourner dans les prochains jours. Lorsque j’écris « dans les prochains jours », comme je viens de le faire à l’instant, je sous-entends un présent de référence, qui ne peut être en l’occurrence que celui du soir de mon arrivée à Ghangzhou pour tourner The Honey Dress (c’est le temps romanesque de « ce soir », ce soir où je me trouve en compagnie de Chen Tong dans la salle à manger du Peach Blossom quelques heures après mon arrivée en Chine), mais j’ai bien conscience qu’il y a d’autres « présent » dans ce livre, et que, selon que je décrive le tournage de Zahie comme je l’ai fait dans les pages précédentes, ou que j’évoquerai la préparation de the Honey Dress, comme je le ferai dans la deuxième partie de ce livre, le présent considéré sera tantôt décembre 2012 (pour Zahir ), tantôt novembre 2014 (pour The Honey Dress).
Aussi loin que je me souvienne, c'était bien là son nom véritable. Ou alors j'invente, mais qu'importe : si on veut que la réalité chatoie, il faut bien la romancer un peu.
Je crois qu'à l'époque, nous étions très différents. Il n'aimait pas faire la sieste par exemple, et, refusant de s'y astreindre, il demandait à sa grand-mère pourquoi les poules, elles, avaient le droit de ne pas faire la sieste.
La probabilité qu'un livre achevé ait été écrit exactement comme il a été écrit est quasi nulle. A chaque moment de la création d'un livre, de même qu'à chaque instant de la vie, se présente à nous des choix à faire, des décisions à prendre, qui, selon les orientations qu'on prendra, figeront à jamais l'avenir. On aurait pu faire un autre choix, prendre une autre décision, et la vie alors, ou le livre, se seraient alors engagés dans une autre direction. Il y a sans doute un chemin inéluctable qui nous attend, derrière les multiples embranchements, aiguillages et bifurcations auxquels nous sommes confrontés, mais ce n'est qu'une fois le parcours terminé que le chemin sera lisible, et transformera en fatalité ce qui n'était, en temps réel, qu'une succession de sélections ponctuelles dans le réservoir des possibilités romanesques infinies qui s'offrent à nous. Le livre qu'on termine, comme la vie que s'achève, clôt définitivement cette ouverture aux possibles. L’œuvre, ou la vie, se referme au vent des fortuits, et devient la fatalité qu'elle devait être.
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« Cher Jean-Philippe, est-ce que tu peux me transférer l’horaire de ton vol ? Il faut que je m’organise » m’écrivait Chen Tong quelques jours avant mon arrivée en Chine. Je suis arrivé à Guangzhou le 21 novembre 2014 dans la soirée, et Chen Tong m’attendait à l’aéroport. Je l’aperçus à distance vêtu d’une de ses éternelles chemisettes grises à manches courtes. Il se tenait immobile, les mains derrière le dos, le regard attentif, il se dégageait de sa personnalité un sentiment d’assurance et de calme. Il esquissa un sourire, à peine un sourire, l’encoignure de ses lèvres se souleva, tandis que ses yeux brillaient de complicité contenue. Mais rien de plus, son corps n’avait pas bougé, son visage était resté impassible, grave, placide. Je fis les derniers mètres pour le rejoindre, et on se donna l’accolade, avec précaution, mimant l’accolade plutôt que la donnant vraiment, il me tapa deux ou trois fois doucement dans le dos pour souligner nos retrouvailles. Il s’empara de ma valise et on passa les portes de l’aéroport, et aussitôt je fus assailli par l’odeur dela Chine, cette odeur d’humidité et de poussière, de légumes bouillis et de légère transpiration qui imprègne l’air chaud de la nuit. Nous ne disions rien sous les vastes auvents de verre incurvés de l’aéroport, et nous attendions la voiture qui devait venir nous chercher.