Du chaos naissent les étoiles

Je me raccrochais à tous les signes que je m'inventais. Si mon regard tombait par inadvertance sur 11:11 ou sur 22:22 sur le réveil, si le feu passait au vert avant que j'aie eu le temps de compter jusqu'à cinq, si je voyais une plume voler dans le ciel, si je croisais la route d'un chat noir, alors mon bébé arriverait le mois suivant. Mais les signes n'avaient apparemment pas compris la règle du jeu.

Cela fait des années que ce petit manège dure entre eux. Pépé Jules ramasse les plus beaux galets sur la plage et, pendant que mémé a le dos tourné, il les utilise pour lui écrire des mots d'amour qu'il dessine dans le jardin, au détour d'un bosquet, sous le banc ou derrière le figuier. Il y en a plus d'une trentaine, cachés çà et là, témoins de la poésie et de l'amour de mon grand-père. "Aucune fleur ne saura éclipser ta beauté", "Tes yeux sont le feu qui m'anime", "Merci d'émerveiller mes jours", "Aujourd'hui n'est que l'ombre de demain."
– Pourquoi ne réunis-tu pas toutes tes déclarations dans un recueil ?
– Le papier s'envole et s'effrite, ma nine. La pierre n'oubliera pas.

Sans chaos, nous n'avançons pas, nous ne cherchons pas à grandir, à comprendre, à réparer, à créer. Sans chaos, notre ciel reste le même et aucune nouvelle étoile ne peut y naître. Ainsi, le chaos nous permet d'atteindre et d'apprécier le bonheur. Le chaos est à l’origine de la vie et de tout commencement.

— Épigraphe

Le visage de ma mamie Denise s'impose à moi. Elle n'est plus de ce monde, mais j'aime à croire qu'en le quittant elle m'a transmis sa part de vie et sa vitalité dont je dois me montrer digne, jusqu'à la fin. Quelle qu'elle soit.

Ce que les morts laissent aux vivants, c’est cette un chagrin inconsolable, mais aussi un surcroît de devoir vivre, d’accomplir la part de vie dont les morts ont dû apparemment se séparer, mais qui reste intacte.

Ce que les morts laissent aux vivants, c'est certes un chagrin inconsolable, mais aussi un surcroît de devoir de vivre, d'accomplir la part de vie dont les morts ont dû apparemment se séparer, mais qui reste intacte.

Je déambule dans la librairie, entre les étals de livres aux couleurs chatoyantes. Mon doigt glisse sur chaque couverture, s'attardant sur celles qui présentent des reliefs, comme si une partie de l'histoire essayait de transpercer la surface cartonnée pour venir jusqu'à moi. Les odeurs du papier et de l'encre se mélangent à celles des bougies parfumées et des boîtes de thé entreposées près de la caisse.

– Si on fuit sa souffrance, elle nous poursuit. Le seul moyen est de l'affronter, de l'amadouer et de s'en servir pour devenir plus fort.

– Juliette, c'est vraiment très important. Vous devez sauver la vie de trois inconnus en moins de quinze jours.
J'éclate de rire.
– Qu'est-ce que c'est que ce baratin ? Sinon, quoi ?
– Sinon, ce sera le néant.

Rien n'arrive par hasard, ma douce Juliette, les bons moments comme les mauvais. Ils nous apprennent quelque chose qui nous servira, tôt ou tard.Tout n'est qu'expérience tu sais.