Roman d'apprentissage d'un homme mûr - encore jeune homme naïf et jeune écrivain inexpérimenté - auprès de trois vieilles expériences, trois hommes complets ayant vécu, rêvé, réussi et échoué, appris à s'arranger avec ce parcours (est-ce devenir sage ? accepter sa destinée en philosophe stoïque ?). le récit d'abord difficile par son ambition poétique se libère peu à peu dans l'écriture de la sensibilité. Les trois personnages et le narrateur se dévoilent par touches d'humanité, attachantes et résignées. Trouillot trouve l'originalité non dans la peinture d'un pays exotique (pour les français), ni dans une histoire extraordinaire, ni dans un apprentissage de l'échec ou de la réussite, mais dans un regard dénué de jugement, attaché, décidé à aller à la rencontre du contenu du vécu avec empathie, pour mieux comprendre l'humain qui s'y cache (un peu à la manière dont le chercheur doit, selon
Henri-Irénée Marrou, aborder les documents historiques avec sympathie, comme un ami faisant taire son jugement critique pour mieux comprendre l'origine du sentiment et du dit). le récit se constitue d'une collecte, d'un échange de récits entre les aînés et le narrateur, imitant la manière dont chacun incorpore dans son propre vécu, dans son intériorité, les discours de ceux avec qui il partage sa vie, par l'amitié. En cela, l'Écrivain parlant de ses amis à cette femme parle bien de lui-même, de ses profondeurs sensibles, de son intimité mais en toute pudeur. D'autre part, il est question pour l'homme d'âge mûr d'apprendre que le monde est fait de ces existences imparfaites, de ces destinées souvent inabouties, de quantité d'échecs, qui n'entament en rien la beauté de l'humain. C'est en acceptant que l'échec fait partie de la vie que l'on peut prendre le risque de réussir (donc celui d'aimer pour le personnage de l'Écrivain), prendre le risque de vieillir dans le bien-être. En cela, chaque vie est un roman, une auto-fiction que l'on se raconte et que l'on raconte aux autres, dans laquelle la sensibilité organisée, la poésie, avec laquelle on considère son vécu, compte bien davantage que l'authenticité des faits et leur valeur supposée.
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