Ce primo-roman d'une jeune auteure anglaise est dur, âpre, d'une force incroyable mais magnifique.
Il s'ouvre sur cette phrase terrible qui provoque un choc: "Aujourd'hui, j'ai tué un petit garçon"; cette introduction m'a rappelée la terrible entrée en matière de "
Chanson douce" de
Leïla Slimani, sauf qu'ici la meurtrière est une enfant de 8 ans, Chrissie, et qu'elle vient d'assassiner un petit garçon de 2 ans, Steven. On vit, glacé, la scène par ses yeux, avec son vocabulaire, ses images mentales.
Le chapitre suivant, nous la retrouvons à 25 ans; elle porte le nom de Julia, a une petite fille, Molly, 5 ans, et est suivie par l'aide sociale à l'enfance.
Le roman est construit sur l'alternance de ces deux narrations, celle de Chrissie et celle de Julia.
Chrissie est livrée à elle-même, sa mère, Eléonore, ne l'aime pas et ne s'en occupe pas au point que Chrissie doit se débrouiller pour trouver à manger chez les parents de son amie Linda et a souvent le ventre vide, est sale, passe son temps libre dans la rue; Eléonore tentera par deux fois de se débarrasser physiquement de Chrisiie, en voulant la donner à l'adoption et en essayant de l'empoisonner. le père ne réapparaît qu'épisodiquement pour battre Eléanore, se saouler. le seul petit rayon de soleil dans cette noirceur, c'est Linda, sa meilleure amie, qui fait malgré tout les frais de sa méchanceté. Chrissie a besoin de se sentir exister, de ne pas être "la mauvaise graine", mantra qu'elle répète sans cesse, de combler le vide, celui de son estomac mais surtout celui de sa vie. le meurtre de Steven la plonge dans l'exaltation. C'est terrifiant mais on ne peut s'empêcher de ressentir une certaine compassion pour cette enfant, sans amour, sans chaleur.
Julia vit avec sa fille Molly après avoir purgé une peine de 10 ans dans un foyer fermé. Elle s'y sentait en sécurité mais elle a été propulsée dans la vraie vie qu'elle redoute. Elle a une peur terrible de n'être pas une bonne mère, de faire mal à sa fille, de ne pas lui apporter ce dont elle a besoin. Julia est d'une grande fragilité, on la sent prête, à tout moment, à s'effondrer. C'est sa fille qui va la sauver, en lui permettant de n'être plus ni Chrissie, ni Julia, mais maman, grâce à son amour inconditionnel.
Ce roman s'attaque à un tabou très fort : celui des enfants meurtriers; l'inconscient collectif pare les enfants de toutes les vertus, les perçoit comme des créatures innocentes, pures et bonnes, gommant volontairement, de façon rassurante, ce qui pourrait venir entacher ce tableau idyllique. le personnage de Chrissie nous oblige à envisager une autre réalité, qui est loin de n'être qu'une fiction. Et c'est dérangeant.
Ce qui est encore plus dérangeant, c'est de découvrir la vie de Chrissie, l'amitié, la mort, le manque d'amour par les yeux et la parole de cette enfant de 8 ans; j'ai été émue par les excuses que Chrissie, en quête éperdue d'amour, cherche à sa mère et à son père.
Roman magnifique, percutant, dérangeant qui fait s'interroger sur l'enfance, la résilience, le pardon, l'amitié.