Justice League Dark, tome 2 : Lords of Order

Ce tome fait suite à Justice League Dark Vol. 1: The Last Age of Magic (épisodes 1 à 3, et 5 à 7) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 8 à 13, ainsi que l'annuel 1, initialement parus en 2019, tous écrits par James Tynion IV. Ram V a coécrit l'épisode annuel. Les épisodes 8 à 12 ont été dessinés par Álvaro Martínez et encrés par Raúl Fernández, avec l'aide de Miguel Mendoça aux dessins et à l'encrage pour les épisodes 9 à 12, la mise en couleurs ayant été réalisée par Brad Anderson. La première moitié de l'épisode 13 a été dessinée par Mark Buckinghamn, encrée par Mick Gray, et mise en couleurs par Adriano Lucas. La deuxième moitié a été dessinée par Daniel Sempere, encrée par Juan Albarran, et mise en couleurs par Adriano Lucas. le numéro annuel a été dessiné et encré par Guillem March, et mis en couleurs par Arif Prianto.

Kirk Langstrom se trouve dans la bibliothèque occulte du Hall de Justice, et il s'apprête à réaliser une expérience de sorcellerie. Zatanna Zatara et Wonder Woman sont en train de se battre contre des démons dans un phare, quelque part dans le Maine. Zatanna réussit à avaler les 3 démons (Abnegazar, Ghast, Rath), ce qui inquiète Diana sur les effets secondaires sur son âme. Elles montent au sommet du phare, et se rendent compte que l'un des Otherkind a dû passer avant elles, car Faust est incohérent avec de la bave aux lèvres. Zatanna lance un sort pour l'obliger à parler : elle exige de savoir où se trouve Mordru. Felix Faust finit par lâcher un mot : Midnight. Au bar de l'Oubli (Oblivion Bar), Bobo T. Chimpanzee fait le point avec Traci Thirteen, pendant que des créatures des marais font le service : Man-Bat se trouve au Hall de Justice devenant de plus en plus bizarre, Wonder Woman et Zatanna essayent de résoudre le grand mystère magique. Cela le ramène à la mort de Jim Rooke (Nightmaster). Jason Blood arrive sur ces entrefaites évoquant le coup d'état que fomente Neron pour s'emparer des Enfers. Swamp Thing reprend sa forme habituelle pour prendre Blood à parti, et celui-ci se transforme en Etrigan.

Dans les sous-sols du Hall de Justice, Kirk Kangstrom poursuit son expérience, tout en se parlant à lui-même, passant en revue la sensibilité à la magie, les 2 composantes de chaque sort, externe et interne. La première est facile à utiliser, souvent sous la forme d'une incantation ou d'une rune. La seconde est plus difficile à maîtriser : la volonté de réécrire la réalité autour de soi. Diana et Zatanna sont arrivées à Hell's Kitchen et pénètrent dans le bar de Papa Midnite (Linton Midnite) : il a été violemment saccagé. Midnite évoque Giovanni Zatara, et sa relation avec Mordru. Il demande s'il est vrai que John Constantine a été neutralisé, ce qui est le cas. Il explique qu'il va lui aussi se retirer du conflit. Au Bar de l'Oubli, Detective Chimp, Swamp Thing et Etrigan sont en train de faire le point quand Upside-Down Man fait son apparition.

Après un premier tome consacré à montrer la magie qui se retourne contre ses utilisateurs et à présenter Uspide-Down Man, entrecoupé par un crossover avec Wonder Woman consacré à Hécate, le scénariste peut reprendre le fil de son histoire. Ça ne va pas mieux avec la magie, et la Ligue de Justice des Ténèbres se trouve face à un nouvel ennemi : Doctor Fate et les autres Seigneurs de l'Ordre qui ont l'intention de profiter des circonstances. le lecteur peut voir cette étape du récit comme un artifice pour faire durer, avant que cette Ligue de Justice ne s'attaque au véritable ennemi… dans le prochain tome, ou peut-être dans celui d'encore après, qui sait. Durant les 5 premiers épisodes, il peut également trouver que les personnages n'ont pas beaucoup de place pour exister tellement ils sont nombreux, et que l'effet se trouve encore aggravé par la pléiade de personnages secondaires. Si on ajoute encore des références cryptiques à des événements passés, à l'histoire personnelle de certains personnages, la coupe est pleine : le lecteur de passage baisse les bras et va voir ailleurs. L'effet produit pour un lecteur enamouré de l'univers partagé DC, pour un lecteur de longue date est tout autre. Il a le plaisir de côtoyer ou de revoir des personnages de deuxième, troisième et dernier rang, de pouvoir mesurer la richesse de cet univers partagé, de retrouver des événements structurants. Certes, il reste quelques zones de flous quant à la version de Swamp Thing (New 52 ou pré New 52), de décalage quant à la présence de John Constantine au milieu de ces superhéros en collant, et par la force des choses une poignée de références qui peuvent lui échapper.

C'était déjà une caractéristique de l'écriture de James Tynion IV sur la série Detective Comics que de savoir mettre à profit la diversité des personnages côtoyant Batman et les récits ayant fait date dans son histoire. Il se montre tout aussi à l'aise avec les éléments magiques de l'univers partagé DC, d'Etrigan (Jason Blood) à Blue Devil (Daniel Cassidy), en passant par Papa Midnite, Traci 13 ou Madame Xanadu, Andrew Bennett, Black Alice, Manitou Dawn, Klarion & Teekl, Mordru, Enchanteress (June Moone), Khalid Massour. Ainsi il montre bien que l'ensemble des personnages avec des capacités magiques est affecté par le dérèglement de la magie, que la crise à affronter est globale. le scénariste ne se contente pas de recycler des personnages déjà existant : il a donc introduit Upside-Down Man, et il continue avec une version complète des Seigneurs de l'Ordre (Doctor Fate, Lord Structure, Brother Pattern, Count Control et Sister Symmetry), en indiquant quel individu ils possèdent. le lecteur s'immerge totalement dans un monde très dense, créant la sensation d'un univers cohérent et sans limite. Álvaro Martínez, Raúl Fernández et Brad Anderson sont également de retour pour continuer à donner à voir ce monde si riche.

L'équipe artistique (dessinateur, encreur, coloriste) réalise des pages spectaculaires, se montrant très complémentaires. S'il n'y prête pas une attention consciente, le lecteur ne voit pas du tout que le dessinateur peut ne pas dessiner d'arrière-plan dans les cases. D'une part il n'en abuse pas ; d'autre part Brad Anderson sait donner vie aux énergies magiques, à l'ambiance lumineuse qu'elles génèrent, ajouter juste ce qu'il faut de relief, et rehausser le contraste entre les différents éléments détourés pour faciliter la lisibilité quel que soit leur nombre. L'encrage de Fernández est très minutieux, augmentant l'impression descriptive et précise, sans figer les personnages ou les énergies. L'apport de Miguel Mendonça se fond avec les pages de Martínez & Fernández, sans solution de continuité. le dessinateur impressionne par son degré d'implication à représenter chaque personnage avec sa morphologie et son costume conformément à son apparence pour qu'il soit identifiable sans erreur. Il varie ses découpages de page en fonction de la nature de la séquence, avec des cases sans bordure, des bordures de case formant un ankh, Une bordure de case déformée comme pliée par Zatanna appuyant sur ladite bordure, un personnage sortant d'une pièce par la bordure blanche séparant 2 cases. La narration visuelle comprend un bon degré d'inventivité discrète, largement au-dessus de la moyenne de la production mensuelle de comics de superhéros. Sous réserve qu'il ne soit pas allergique aux univers partagés et aux personnages en grand nombre, le lecteur se délecte de ce récit mettant à profit l'inventivité des personnages magiques DC, se retrouve impliqué dans l'assaut des Seigneurs de l'Ordre. Il découvre en plus quelles circonstances ont poussé Diana (Wonder Woman) à créer cette nouvelle Ligue pour s'occuper des dangers magiques. Il se prend d'intérêt pour le sort du jeune Khalid Nassour, le dernier humain à avoir porté le casque de Doctor Fate.

Après cette nouvelle bataille contre des forces magiques déchaînées, James Tynion IV prend un épisode pour revenir sur l'historique de la relation entre Kent Nelson et Nabu, développement organique pour envisager le devenir du casque de Nabu, avec des dessins enchanteurs de Mark Buckingham, l'artiste de la série Fables de Bill Willingham. La deuxième partie de cet épisode est consacrée à une discussion entre Zatanna Zatara et John Constantine, au sujet du père de Zatanna. le scénariste impressionne par sa capacité à faire coexister une magicienne qui parle à l'envers et un individu cynique sans hiatus, sans dénaturer l'un ou l'autre, avec des dessins réalistes de Daniel Sampere, un peu moins fougueux que ceux des épisodes précédents, plus posés ce qui sied à cette conversation accoudée au comptoir. Enfin, le lecteur sait bien que les numéros annuels sont souvent l'occasion pour l'éditeur de fourguer plus de papier, avec des histoires anecdotiques. En voyant qu'il a été adjoint un coscénariste à Tynion Iv, ses a priori grandissent. Les auteurs se font un petit plaisir en reprenant des concepts créés par Alan Moore sur la série Swamp Thing, comme le Parlement des Arbres, et en inventant un Parlement des Fleurs. le lecteur s'attend à un ersatz insipide. L'histoire est un peu convenue, mais le flux de pensée intérieur apporte une consistance qui rend le récit intéressant. Guillem March n'est ni Stephen Bissette, ni John Totleben, mais il ne bâcle pas ses pages. Il est même visible qu'il prend grand plaisir à représenter les différentes formes végétales, leur insufflant une vie et une diversité qui va bien au-delà du simple travail alimentaire. Les auteurs ne révolutionnent pas Swamp Thing, et leur addition à la mythologie ne restera pas dans les annales, mais ils ne sont pas ridicules.

Après un premier tome donnant une sensation de faux départ, un crossover avec la série Wonder Woman d'une beauté à couper le souffle, James Tynion IV revient à son intrigue principale. Il met en scène une multitude de personnages magiques de l'univers partagé DC avec élégance, pour une intrigue linéaire mais sophistiquée. Sous réserve qu'il ne soit pas allergique à cette forme de récit de superhéros, le lecteur s'immerge totalement dans cette histoire divertissante, spectaculaire avec une narration visuelle soignée, et recelant des métaphores bien vues sur la magie.