L'amour dans le sang

Mes deux derniers films n'ont pas bien marché. Le tourbillon autour de moi s'est un peu calmé. Je reste invitée, accueillie, reconnue dans la rue mais l'effervescence est bien partie, la nouveauté est périmée, je n'ai pas vraiment transformé l'essai. Les gens du cinéma me laissent un peu, ils n'ont pas le temps de me faire grandir, pas le temps de s'attarder, de m'accompagner, il y a tellement d'autres acteurs, plus dociles, plus nouveaux.
Les compliments font place aux réserves, les appels sont moins nombreux, les projets deviennent flous. Le désir se tasse. Je n'ai pas 20 ans.

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Je n'ai pas eu le temps de grandir, on ne m'a rien dit. J'ai juste entendu deux, trois trucs à la télé, c'est tout. Je n'ai pas fait attention, mais attention à quoi? à l'amour? Il faut aussi se méfier de l'amour? J'ai été naïve, princesse immortelle comme toutes les filles de mon âge, peut-être un peu plus. Je revois les baisers, les étreintes, mon corps pénétré, je n'ai fait que l'amour.

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... Je dois faire des photos pour une publicité, pour un rouge à lèvres ...
Je pense à Papoum (le grand-père de l'autrice), à mon éducation.

Il faut faire des études pour avoir une bonne situation, gagner sa vie pour lui donner un cadre, il faut la construire petit à petit, tout cela prend du temps. Une fois construit, le nid sera solide et permettra d'accueillir un mari, des enfants, une nouvelle famille qui continuera pour des siècles et des siècles ce cycle de prospérité. Toute la vie se construit dans le temps, se mérite, pas à pas, sou par sou. Aujourd'hui, je vais gagner 200 000 francs, sans étude, sans effort, juste comme ça, parce qu'on parle de moi, parce qu'on me reconnaît dans la rue et parce qu’une foule de gens que je ne connais pas m’aiment bien, rêvent sur la nouvelle petite bouille du cinéma français et achèteront son rouge à lèvres.

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La petite vedette est de retour du Canada où elle était en tournage. Elle a dû manger du homard midi et soir, elle en est à son troisième film, on la voit toujours dans les journaux, elle doit avoir plein de fric, elle est jeune, belle et en bonne santé, que demander de plus? Si la petite vedette fait la gueule, c'est qu'elle se prend pour une star. On ne me comprend pas.
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... J'ai rendez-vous chez un producteur. Un gros. Très influent! me dit-on. Il fait la pluie et le beau temps! ...Il me parle de nos quelques rencontres, de son souvenir de moi... Il parle comme un moulin. Le regard oblique, braqué sur ma bouche. il se lève, continue de parler en mode automatique, du rôle, de l'époque, du metteur en scène, des autres acteurs déjà choisis, il ne manque que moi...
Je ne l'écoute plus, je vais partir.
Le seul désir que je sens s'est posé sur mon épaule. Une main un peu fripée, carrée, volontaire, sûre, sèche.
Je me lève, le remercie, je suis bien élevée.
- Vous n'aurez donc pas le rôle, vous le savez? Tu sais pourquoi hein? Tu t'en vas?!
Les mots se pressent, sa voix douce s'énerve, il avance le dos de ses doigts vers ma joue pour me caresser. Je tourne la tête, je pars. Je cours dans l'escalier, à travers le parc, puis je marche, essoufflée, la tête haute. Je me souviens de la question de la journaliste: "vous devez vivre un vrai conte de fée ...".

- Alors? le producteur me demande ma mère ...
- C'était pas un rôle pour moi.

Page 105 - Editions J'ai lu - 2005

... Plus tard dans la journée, j'ai fait face à la hargne veloutée d'un producteur habile et avide qui me mangeait des yeux. Je pourrais être sa fille !
Le sexe me semble plus présent qu'ailleurs dans ce monde qui carbure au désir, au plaisir sous toutes ses formes. Page 79 - Edition j'ai lu - 2005

Il ne l' a pas connu mais a pensé a elle en écrivant le monologue d 'Irma dans "la folle de Chaillot "
Il viendra, il n'est plus loin, il ressemble à ce jeune homme sauvé des eaux; à le voir en tout cas, le mot gonfle déjà ma bouche, ce mot que je lui répèterai sans arrêt jusqu'à la vieillesse, sans arret, qu'il me caresse ou qu'il me batte, qu'il me soigne ou qu'il me tue ... IL CHOISIRA , j'adore la vie"

Préface Dominique Bernhard
Pas de mots plus justes pour parler de Charlotte, un être d'exception que ceux de Jean Giraudoux
"je déteste ce qui est laid, j'adore ce qui est beau, si j'avais été moins tétue, je n'aurais pas quitté la maison et eu cette vie intense, j'adore la liberté et déteste l'eclavage

J'aimerais faire marche arrière comme après un accident, quand on s'en veut tellement qu'on aimerait refaire la scène, juste une fois, revenir sur ce passé si présent qu'on le touche encore, juste un pas en arrière, avoir une autre chance. Tous les gamins font des erreurs de jeunesse dont on parle avec tendresse, la mienne semble irrémédiable, irréparable. Pourquoi frappe-t-on si fort sur mon corps de gosse ?

"Etre comme tout le monde " couper ce qui dépasse, reprimer le talent, s' inquieter des voisins, taire la sensibilité, bâillonner les douleurs.
La norme condamne à la monotonie forçée et rend amer.