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Citations sur Album de vers anciens - Propos sur la poésie (45)

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Puisque ce mot de rêve s’est introduit dans mon discours, je dirai au passage
qu’il s’est fait dans les temps modernes, à partir du Romantisme, une confusion
assez explicable, mais assez regrettable, entre la notion de poésie et celle de
rêve. Ni le rêve, ni la rêverie ne sont nécessairement poétiques. Ils peuvent
l’être ; mais des figures formées au hasard ne sont que par hasard des figures
harmoniques.

Toutefois, le rêve nous fait comprendre par une expérience commune et fréquente,
que notre conscience puisse être envahie, emplie, constituée par un ensemble de
productions remarquablement différentes des réactions et des perceptions
ordinaires de l’esprit. Il nous donne l’exemple familier d’un monde fermé où
toutes choses réelles peuvent être représentées, mais où toutes choses
paraissent et se modifient par les seules variations de notre sensibilité
profonde. C’est à peu près de même que l’état poétique s’installe, se développe
et se désagrège en nous. C’est dire qu’il est parfaitement irrégulier,
inconstant, involontaire, fragile, et que nous le perdons comme nous l’obtenons,
par accident. Il y a des périodes de notre vie où cette émotion et ces
formations si précieuses ne se manifestent pas. Nous ne pensons même pas
qu’elles soient possibles. Le hasard nous les donne, le hasard nous les retire.
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J’ai dit : sensation d’univers. J’ai voulu dire que l’état ou émotion poétique
me semble consister dans une perception naissante, dans une tendance à percevoir
un monde, ou système complet de rapports, dans lequel les êtres, les choses, les
événements et les actes, s’ils ressemblent, chacun à chacun, à ceux qui peuplent
et composent le monde sensible, le monde immédiat duquel ils sont empruntés,
sont, d’autre part, dans une relation indéfinissable, mais merveilleusement
juste, avec les modes et les lois de notre sensibilité générale. Alors, ces
objets et ces êtres connus changent en quelque sorte de valeur. Ils s’appellent
les uns les autres, ils s’associent tout autrement que dans les conditions
ordinaires. Ils se trouvent, - permettez-moi cette expression, - musicalisés,
devenus commensurables, résonants l’un par l’autre. L’univers poétique ainsi
défini présente de grandes analogies avec l’univers du rêve.
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Est-ce là ce que l’on exige du poète ? Certes, une émotion caractérisée par la
puissance expressive spontanée qu’elle déchaîne est l’essence de la poésie. Mais
la tâche du poète ne peut consister à se contenter de la subir. Ces expressions,
jaillies de l’émoi, ne sont qu’accidentellement pures, elles emportent avec
elles bien des scories, contiennent quantité de défauts dont l’effet serait de
troubler le développement poétique et d’interrompre la résonance prolongée qu’il
s’agit enfin de provoquer dans une âme étrangère. Car le désir du poète, si le
poète vise au plus haut de son art, ne peut être que d’introduire quelque âme
étrangère à la divine durée sa vie harmonique, pendant laquelle se composent et
se mesurent toutes les formes et durant laquelle s’échangent les répons de
toutes ses puissances sensitives et rythmiques.

L’inspiration, mais c’est au lecteur qu’elle appartient et qu’elle est destinée,
comme il appartient au poète d’y faire penser, d’y faire croire, de faire ce
qu’il faut pour qu’on ne puisse attribuer qu’aux dieux un ouvrage trop parfait,
ou trop émouvant pour sortir des mains incertaines d’un homme. L’objet même de
l’art et le principe de ses artifices, il est précisément de communiquer
l’impression d’un état idéal dans lequel l’homme qui l’obtiendrait serait
capable de produire spontanément, sans effort, sans faiblesse, une expression
magnifique et merveilleusement ordonnée de sa nature et de nos destins.
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Il n’agit pas sur ce poème dont il n’est pas la source. Il peut être tout
étranger à ce qui découle au travers de lui. Cette conséquence inévitable me
fait songer à ce qui, jadis, était généralement cru au sujet de la possession
diabolique. On lit dans les documents d’autrefois qui relatent les
interrogatoires en matière de sorcellerie, que des personnes, souvent, furent
convaincues d’être habitées du démon, et condamnées de ce chef, pour avoir,
quoique ignorantes et incultes, discuté, argumenté, blasphémé pendant leurs
crises, en grec, en latin, voire en hébreu devant les enquêteurs horrifiés. (Ce
n’était point du latin sans larmes, je pense.)
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Si l’on se plaisait à développer en rigueur la doctrine de la pure inspiration,
on en déduirait des conséquences bien étranges. On trouverait nécessairement,
par exemple, que ce poète qui se borne à transmettre ce qu’il reçoit, à livrer à
des inconnus ce qu’il tient de l’inconnu, n’a donc nul besoin de comprendre ce
qu’il écrit sous la dictée mystérieuse.
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En somme, certains instants nous trahissent des profondeurs où le meilleur de
nous-mêmes réside, mais en parcelles engagées dans une matière informe, en
fragments de figure bizarre ou grossière. Il faut donc séparer de la masse ces
éléments de métal noble et s’inquiéter de les fondre ensemble et d’en façonner
quelque joyau.
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41
ais ce ne sont que des instants, et cette énergie supérieure (c’est-à-dire
telle que toutes les autres énergies de l’homme ne la peuvent composer et
remplacer), n’existe ou ne peut agir que par brèves et fortuites manifestations.
Il faut ajouter, - ceci est assez important, - que les trésors qu’elle illumine
aux yeux de notre esprit, les idées ou les formes qu’elle nous produit à nous-
mêmes sont fort éloignés d’avoir une valeur égale aux regards étrangers.

Ces moments d’un prix infini, ces instants qui donnent une sorte de dignité
universelle aux relations et aux intuitions qu’ils engendrent sont non moins
féconds en valeurs illusoires ou incommunicables. Ce qui vaut pour nous seuls ne
vaut rien. C’est la loi de la Littérature. Ces états sublimes sont en vérité des
absences dans lesquelles se rencontrent des merveilles naturelles qui ne se
trouvent que là, mais ces merveilles toujours sont impures, je veux dire mêlées
de choses viles ou vaines, insignifiantes ou incapables de résister à la lumière
extérieure, ou encore impossibles à retenir, à conserver. Dans l’éclat de
l’exaltation, tout ce qui brille n’est pas or.
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Ce n’est pas qu’il ne faille, pour faire un poète, quelque chose d’autre,
quelque vertu qui ne se décompose pas, qui ne s’analyse pas en actes
définissables et en heures de travail. Le Pégase-Vapeur, le Pégase-Heure ne sont
pas encore des unités légales de puissance poétique.

Il y a une qualité spéciale, une sorte d’énergie individuelle propre au poète.
Elle paraît en lui et le révèle à soi-même dans certains instants d’un prix
infini.
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Or, l’expérience comme la réflexion nous montrent, au contraire, que les poèmes
dont la perfection complexe et l’heureux développement imposeraient le plus
fortement à leurs lecteurs émerveillés l’idée de miracle, de coup de fortune,
d’accomplissement surhumain (à cause d’un assemblage extraordinaire des vertus
que l’on peut désirer mais non espérer trouver réunies dans un ouvrage), sont
aussi des chefs-d’oeuvre de labeur, sont, d’autre part, des monuments
d’intelligence et de travail soutenu, des produits de la volonté et de
l’analyse, exigeant des qualités trop multiples pour pouvoir se réduire à celles
d’un appareil enregistreur d’enthousiasmes ou d’extases. On sent bien devant un
beau poème de quelque longueur, qu’il y a des chances infimes pour qu’un homme
ait pu improviser sans retours, sans autre fatigue que celle d’écrire ou
d’émettre ce qui lui vient à l’esprit, un discours singulièrement sûr de soi,
pourvu de ressources continuelles, d’une harmonie constante et d’idées toujours
heureuses, un discours qui ne cesse de charmer, où ne se trouvent point
d’accidents, de marques de faiblesse et d’impuissance, où manquent ces fâcheux
incidents qui rompent l’enchantement et ruinent l’uni­vers poétique dont je vous
parlais tout à l’heure.
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Mais vous savez tous qu’il existe un moyen fort simple de faire des vers.

Il suffit d’être inspiré, et les choses vont toutes seules. Je voudrais bien
qu’il en fût ainsi. La vie serait supportable. Accueillons, toutefois, cette
réponse naïve, mais examinons-en les conséquences.

Celui qui s’en contente, il lui faut consentir ou bien que la production
poétique est un pur effet du hasard, ou bien qu’elle procède d’une sorte de
communication surnaturelle ; l’une et l’autre hypothèse réduisent le poète à un
rôle misérablement passif. Elles font de lui ou une sorte d’urne en laquelle des
millions de billes sont agitées, ou une table parlante dans laquelle un esprit
se loge. Table ou cuvette, en somme, mais point un dieu, - le contraire d’un
dieu, le contraire d’un Moi.

Et le malheureux auteur, qui n’est donc plus auteur, mais signataire, et
responsable comme un gérant de journal, le voici contraint de se dire :« Dans
tes ouvrages, cher poète, ce qui est bon n’est pas de toi, ce qui est mauvais
t’appartient sans conteste. »

Il est étrange que plus d’un poète se soit contenté, - à moins qu’il ne se soit
enorgueilli, - de n’être qu’un instrument, un médium momentané.
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