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Citations sur Album de vers anciens - Propos sur la poésie (45)

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Il en résulte que la musique possède un domaine propre, absolument sien. Le
monde de l’art musical, monde des sons, est bien séparé du monde des bruits.
Tandis qu’un bruit se borne à évoquer en nous un événement isolé quelconque, un
son qui se produit évoque à soi seul tout l’univers musical. Dans cette salle où
je parle, où vous percevez le bruit de ma voix et divers incidents auditifs, si
tout à coup une note se faisait entendre, si un diapason ou un instrument bien
accordé se mettait à vibrer, à peine affectés par ce bruit exceptionnel, qui ne
peut pas se confondre avec les autres, vous auriez aussitôt la sensation d’un
commencement. Une atmosphère tout autre serait sur-le-champ créée, un état
particulier d’attente s’imposerait, un ordre nouveau, un monde s’annoncerait et
vos attentions s’organiseraient pour l’accueillir. Davantage, elles tendraient
en quelque sorte à développer d’elles-mêmes ces prémisses, et à engendrer des
sensations ultérieures de même espèce, de même pureté que la sensation reçue.
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Le musicien se trouve donc en possession d’un ensemble parfait de moyens bien
définis, qui font correspondre exactement des sensations à des actes ; tous les
éléments de son jeu lui sont présents, énumérés et classés, et cette
connaissance précise de ses moyens, dont il est non seulement instruit mais
pénétré et armé intimement, lui permet de prévoir et de construire, sans aucune
préoccupation au sujet de la matière et de la mécanique générale de son art.
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Par là, ces unités sonores, ces sons, sont aptes à former des combinaisons
suivies, des systèmes successifs ou simultanés dont la structure, les
enchaînements, les implications, les entrecroisements nous apparaissent et
s’imposent. Nous distinguons nettement le son du bruit, et nous percevons dès
lors un contraste entre eux, impression de grande conséquence car ce contraste
est celui du pur et de l’impur, qui se ramène à celui de l’ordre et du désordre,
tient lui-même, sans doute, aux effets de certaines lois énergétiques. Mais
n’allons pas si loin.

Ainsi, cette analyse des bruits, ce discernement qui a permis la constitution de
la musique comme activité séparée et exploitation de l’univers des sons, a été
accomplie, ou du moins contrôlée, unifiée, codifiée, grâce à l’intervention de
la science physique, qui s’est d’ailleurs découverte elle-même à cette occasion
et s’est reconnue comme science des mesures, et qui a su, dès l’Antiquité,
adapter la mesure à la sensation, et obtenir le résultat capital de produire la
sensation sonore de manière constante et identique, au moyen d’instruments qui
sont, en réalité, des instruments de mesure.
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Comment eut lieu cette institution de la musique ? Nous vivons par l’ouïe dans
l’univers des bruits. De leur ensemble se détache l’ensemble de bruits
particulièrement simples, c’est-à-dire bien reconnaissables par l’oreille et qui
lui servent de repères : ce sont des éléments dont les relations réciproques
sont intuitives ; ces relations exactes et remarquables sont perçues par nous
aussi nettement que leurs éléments eux-mêmes. L’intervalle de deux notes nous
est aussi sensible qu’une note.
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Heureux le musicien ! L’évolution de son art lui a fait une condition toute
privilégiée. Ses moyens sont bien définis, la matière de sa composition est tout
élaborée devant lui. On peut aussi le comparer à l’abeille quand elle n’a qu’à
s’inquiéter de son miel. Les rayons réguliers et les alvéoles de cire sont tout
faits devant elle. Sa tâche est bien mesurée et restreinte au meilleur d’elle-
même. Tel le compositeur. On peut dire que la musique préexiste et l’attend. Il
y a beau temps qu’elle est toute constituée !
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Rien ne fait mieux saisir toute la difficulté de sa tâche, que de comparer ses
données initiales avec celles dont dispose le musicien. Voyez un peu ce qui est
offert à l’un et à l’autre, au moment qu’ils vont se mettre à l’ouvrage et
passer de l’intention à l’exécution.
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En somme, le destin amer et paradoxal du poète lui impose d’utiliser une
fabrication de l’usage courant et de la pratique à des fins exceptionnelles et
non pratiques ; il doit emprunter des moyens d’origine statistique et anonyme
pour accomplir son dessein d’exalter et d’exprimer sa personne en ce qu’elle a
de plus pur et de singulier.
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10
Vous savez à quelles épreuves nous le soumettons quelquefois. Les valeurs, les
sens des mots, les règles de leurs accords, leur émission, leur transcription
nous sont à la fois des jouets et des instruments de torture. Sans doute, nous
avons quelque égard aux décisions de l’Académie ; et sans doute, le corps
enseignant, les examens, la vanité surtout, opposent quelques obstacles à
l’exercice de la fantaisie individuelle. Dans les temps modernes, d’ailleurs, la
typographie agit très puissamment pour la conservation de ces conventions
d’écriture. Par là, les altérations d’origine personnelle sont retardées dans
une certaine mesure ; mais les qualités du langage les plus importantes pour le
poète, qui sont évidemment ses propriétés ou possibilités musicales, d’une part,
et ses valeurs significatives illimitées (celles qui résident à la propagation
des idées dérivées d’une idée), de l’autre, sont aussi les moins défendues
contre le caprice, les initiatives, les actions et les dispositions des
individus. La prononciation de chacun et son « acquis » psychologique
particulier introduisent dans la transmission par le langage, une incertitude,
des chances de méprises, un imprévu tout inévitables. Remarquez bien ces deux
points : en dehors de son application aux besoins les plus simples et les plus
communs de la vie, le langage est tout le contraire d’un instrument de
précision. Et en dehors de certaines coïncidences rarissimes, de certains
bonheurs d’expression et de forme sensible combinées, il n’a rien d’un moyen de
poésie.
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Mais nous ne sommes point ici pour faire des vers. Nous essayons, au contraire,
de considérer les vers comme impossibles à faire, pour admirer plus lucidement
les efforts des poètes, concevoir leur témérité et leurs fatigues, leurs risques
et leurs vertus, nous émerveiller de leur instinct.

Je vais donc en peu de mots tenter de vous donner quelque idée de ces
difficultés.

Je vous l’ai dit tout à l’heure : le langage est un instrument, un outil, ou
plutôt une collection d’outils et d’opérations formée par la pratique et
asservie à elle. Il est donc un moyen nécessairement grossier, que chacun
utilise, accommode à ses besoins actuels, déforme selon les circonstances,
ajuste à sa personne physiologique et à son histoire psychologique.
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Tous les arts ont été créés pour perpétuer, changer,
chacun selon son essence, un moment d’éphémère délice en la certitude d’une
infinité d’instants délicieux. Une oeuvre n’est que l’instrument de cette
multiplication ou régénération possible. Musique, peinture, architecture sont
les modes divers correspondant à la diversité des sens. Or, parmi ces moyens de
produire ou de reproduire un monde poétique, de l’organiser pour la durée et de
l’amplifier par le travail réfléchi, le plus ancien, peut-être, le plus
immédiat, et cependant le plus complexe, - c’est le langage. Mais le langage, à
cause de sa nature abstraite, de ses effets plus spécialement intellectuels, -
c’est-à-dire : indirects, - et de ses origines ou de ses fonctions pratiques,
propose à l’artiste qui s’occupe de le vouer et de l’ordonner à la poésie, une
tâche curieusement compliquée. Il n’y eût jamais eu de poètes si l’on eût eu
conscience des problèmes à résoudre. (Personne ne pourrait apprendre à marcher,
si pour marcher il fallait se représenter et posséder à l’état d’idées claires
tous les éléments du moindre pas.)
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