Pour ceux qui ont cru au ciel, souvent la terre est trop petite.
C'est peut-être vrai que je suis un lâche, ainsi que l'ont dit sous l'Odéon les bonnets rouges et les talons noirs ! Voilà des semaines que je suis pion, et je ne ressens ni un chagrin ni une douleur ; je ne suis pas irrité et je n'ai point honte. J'avais insulté les fayots de collège ; il paraît que les haricots sont meilleurs dans ce pays-ci, car j'en avale des platées et je lèche et relèche l'assiette.
En plein silence de réfectoire, l'autre jour, j'ai crié, comme jadis, chez Richefeu :
"Garçon, encore une portion !"
Tout le monde s'est retourné, et l'on a ri.
J'ai ri aussi - je suis en train de gagner l'insouciance des galériens, le cynisme des prisonniers, de me faire à mon bagne, de noyer mon coeur dans une chopine d'abondance - je vais aimer mon auge !
J'ai eu faim si longtemps !
Comment ne se fâchent-ils pas ? / C’est que j’ai gardé tout mon sang-froid, et que, pour faire trou dans ces cervelles, j’ai emmanché mon arme comme un poignard de tragédie grecque, je les ai éclaboussés de latin, j’ai grandsièclisé ma parole, -ces imbéciles me laissent insulter leurs religions et leurs doctrines parce que je le fais dans un langage qui respecte leur rhétorique, et que prônent les maîtres du barreau et les professeurs d’humanité. C’est entre deux périodes à la Villemain que je glisse un mot de réfractaire, cru et cruel, et je ne leur laisse pas le temps de crier.
Quand les femmes s’en mêlent, quand la ménagère pousse son homme, quand elle arrache le drapeau noir qui flotte sur la marmite pour le planter entre deux pavés, c’est que le soleil se lèvera sur une ville en révolte.
Il laisse, d’une voix sereine, tomber des mots qui tranchent et qui font sillon de lumière dans le cerveau des faubouriens, et sillon rouge dans la chair bourgeoise.
Seul ! J’avais osé venir seul ! – Jamais je n’ai été fier de moi comme en ce jour d’immense humiliation.
« Je reste à cheval sur les principes. »
Il quitte bien les étriers une fois par jour, au moins.
« Nos pères, ces géants… »
Mon père était de taille moyenne, plutôt petit ; mon grand-père était appelé Bas-du-cul dans son village. Je n’ai pas de géants pour ancêtres.
J’ai peur de paraître lâche à ceux qui m’ont entendu dans les cénacles à gueux, promettre que, le jour où j’échapperais à la saleté de la misère et à l’obscurité de la nuit, je sauterais à la gorge de l’ennemi.
C’est cet ennemi-là qui m’encense aujourd’hui.
Si j’ai pu me faire quelques idées et les aligner en rangs d’oignons, c’est que j’ai toujours gagné assez pour boire mon litre, et prendre mon café avec la consolation ! On dit que j’ai tort de me piquer le nez ? Mais, sacré nom ! c’est quand ce nez-là me chatouille que ma pensée se ravigote, c’est quand j’ai l’œil un peu allumé que j’y vois le plus clair !... C’est pas pour la vertu, croyez-le bien, jeune homme, qu’on recommande aux pauvres de ne pas licher ; c’est parce qu’on a peur que cela leur débrouille un peu la cervelle, et leur graisse les muscles, et leur chauffe le cœur ! Êtes-vous content de ce que j’ai fait ? … Oui… Eh bien, j’ai écrit cela avec la suée de mes cuites !
Tous les bouts d’article qui me promettent un avenir glorieux ne valent pas une soupe. Et je suis habitué à la soupe maintenant !