Wiertz, enfant du peuple, n'est pas une exception: les self made men de la palette foisonnent entre la Méditerranée et la mer du Nord — autrefois et à présent — ; du reste, il est le rejeton unique et dorloté auquel à quinze ans on reconnaît du génie ce qui n'est pas fait pour calmer la superbe d'un jeune être merveilleusement (mais incomplètement) doué Certes, du point de vue technique, ses dons valent ceux d'un Delacroix, dont il est le contemporain dans le sens le plus strict du mot, puisque, né six ans après l'auteur des Massacres de Scio, il lui survit à peine d'une vingtaine de mois. Pendant un quart de siècle, leurs efforts existent parallèles et sur une étendue de territoire ne dépassant pas la distance de Paris à Dijon, peu importe si le pointillé d'une frontière le traverse.
Alors, voilà Wiertz avec toutes ses possibilités, avec son charme, sa fantaisie et sa détestable facilité, avec trop de mémoire, avec ses incertitudes quant au goût et ses certitudes quant au but: dominer spirituellement et non pas seulement grâce à son pinceau, mais dominer avec la seule aide de son pinceau son époque, cette époque que Victor Hugo, pareillement, est destiné à considérer comme son bien.
L'effort de Picasso se dissout en un éphémère mode ornemental, celui de Wiertz ne devait servir qu'au développement d'un genre d'illustration (dont les premières traces se découvrent chez Hugo lui-même et dont Gustave Doré sera le grand ouvrier). Mais dans les temps à venir, la peinture ne pourra rien devoir à l'un pas plus qu'à l'autre.
Au Salon de Paris, commencent les déboires d'Antoine Wiertz avec la critique, déboires qui empoisonneront son existence. Il n'a pas toujours tort.