Patagonie route 203

Le camion traçait en roulant une ligne qui séparait la plaine en deux : d’un côté, l’Occident, Parker et le passé, de l’autre, l’Orient, avec Maytén et l’avenir, mais il suffisait d’un léger virage pour que les moitiés se mêlent comme un jeu de cartes, alors il restait d’un côté Maytén, le passé et l’océan, et de l’autre les montagnes, Parker et l’avenir. Et ainsi, virage après virage, les deux parties se combinaient comme des ingrédients malaxés qui pouvaient se changer en pain, ou former une pâte immangeable.

- J'ai des problèmes avec la pègre plus qu'avec la loi.
- Alors, c'est du sérieux : il est plus difficile de corrompre un mafieux qu'un juge.

"La vie ne lui accorderait pas une seconde chance: la Patagonie était tellement immense et illimitée qu'ils risquaient de ne jamais se retrouver, mais par un paradoxe de la géographie, il arrivait de cette immensité rapproche les personnes et que leurs chemins se croisent de nouveau."

- Je tourne à droite ou à gauche ?
- Peu importe, ou on tourne, ou on continue tout droit. Toi, tu tournes et,tôt ou tard, tu trouveras le village.

La route traversait la steppe et s'étendait comme un trait sinueux entre collines et vallées, puis montait et descendait par les flancs, si bien que la ligne de l'horizon s'inclinait, restant dans cette position pendant des kilomètres comme si elle flottait dans l'air. Vers la cordilliere, le continent courbait l'échine comme un félin prêt à bondir; vers l'ocean le ciel et l'horizon se diputaient une immense plaine. Le vent qui descendait des glaces éternelles agitait les herbages d'une caresse nerveuse comme s'il depeignait la terre.

La réplique de Mayten lui avait plu : imaginer que l'immensité qui les entourait puisse être du temps au lieu d'être un espace. Il pensa qu'il allait pouvoir bien s'entendre avec cette femme et poursuivit:
- le batteur et moi on était associés, on avait un local et on jouait tous les soirs, tu vois bien le genre de vie.
- Comment veux tu que je sache, moi j'ai toujours vécu au milieu de nulle part.

C'est pas le temps qui manque, regarde tout ce temps qu'il y a ici, dit-elle.

Dehors, tout paraissait figé par une substance magique détachée de la Voie lactée.

Il profita d’un arrêt nocturne pour observer le firmament et s’assurer que là-haut tout allait pour le mieux, mais il n’avait jamais vu la Croix du Sud si bas, presque posée sur l’horizon, et s’en méfia. La ceinture d’Orion était aplatie et regardait Aldébaran avec suspicion.

Cet homme, qui ne correspondait à aucune de ses représentations, marquait un point de rupture dans le cours de son existence, dépourvue de surprises.