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Citations sur Une vie en l'air (25)

Habiter, comme écrire, c'est travailler une énigme. Mais tout ce que l'on nous donne, ce sont des solutions, des réponses bien alignées, paramétrées, millimétrées. Où, désormais, nous perdre ?
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J'essayais d'imaginer leurs vies, ces existences de gosses d'exploitants, à la fois rurales et dorées, ces chambres qui, souvent, disposaient de leur propre téléviseur, ces longues journées où le désir s'exaspérait en séances de tir à la carabine et course de trial dans les champs, ces soirées où l'alcool servait de mètre-étalon au plaisir, ces maisons, ces jardins, ces remises, toujours trop grands, impossibles à occuper, et ces brusques élans vers l'horizon dans l'espoir, toujours déçu, que l'espace cesse enfin de vous écraser. P.43
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C'était surtout les filles que j'aurais voulu croiser là-haut, des filles un peu crânes et bohèmes, celles qui étaient en option théâtre ou cinéma et que je n'osais jamais aborder. Elles seraient montées sur l'aérotrain pour prendre des photos et m'auraient trouvé assis sur le rail, la cigarette aux lèvres et l'imper au vent. Inutile de dire que cette scène, rejouée cent fois avec une infinité d'actrices, est toujours restée virtuelle.
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Inventeur perdu chez les gestionnaires, provincial en butte aux Parisiens, aviateur bataillant contre les cheminots, Jean Bertin cumulait toutes les caractéristiques du génie incompris, un mythe que l'échec de son aérotrain est venu démultiplier à l'extrême. J'aimais cette personnalisation du projet : elle légitimait mon obsession.
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Je n’écrivais rien, je ne dessinais pas, je me contentais de ressasser sans fin les mêmes histoires et de mêler leurs terminaisons aux lianes qui pendaient du rail. Mon récit était spectral, presque automatique, comme ces airs que l’on fredonne machinalement et sur lesquels on plaque, sans y penser, des paroles incohérentes.
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Mon monument était une ruine du futur, le vestige d'un avenir radieux qui n'avait jamais été.
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Dès l’origine, l’édifice fut un accélérateur de fictions. Je n’ai que peu de souvenirs des innombrables feuilletons dont il fut le prétexte : le seul scénario qui me reste en mémoire faisait de la plate-forme une sorte de tremplin pour deltaplanes à roulettes. Ces engins, manœuvrés par une confrérie d’initiés et pourvus d’ailes articulées semblables à celles des ptérodactyles, s’élançaient sur le rail pour planer jusqu’au sommet des pylônes qui couvrent la Beauce. Là, grâce à leurs trains d’atterrissage munis de roues à gorge, ils se posaient sur les fils électriques et glissaient, au gré des circulations atmosphériques, au-dessus d’une France vue seulement de haut. Certaines variantes de cette rumination faisaient même des pilotes de ces machines volantes les derniers survivants d’un cataclysme nucléaire, condamnés à flotter sur un territoire ravagé et presque entièrement vidé de ses habitants.
Je me racontais ces fables en marchant vers l’école, ou bien sur la banquette arrière de la voiture familiale. Usées par les reprises, elles s’étiolaient au fil des semaines, jusqu’à ce que je me lasse et invente autre chose. La travée de béton était mon véhicule, une sorte de compagnon légendaire qu’il me suffisait d’enfourcher pour échapper à l’ennui. Ses pieds éléphantesques mordaient parfois sur ma vie : lorsque mes parents m’emmenaient en forêt pour cueillir des champignons, nous empruntions souvent une allée qui finissait entre deux piles du quai de béton. Au-delà de cette arche, j’en étais sûr, l’espace n’était plus régi par les mêmes lois.
C’est mon grand-père qui, un après-midi, brisa le cocon narratif où je végétais. Pointant, en pleine promenade, sa canne vers ma passerelle favorite, il se souvint qu’à l’époque « les essais faisaient un boucan d’enfer ». Personne n’y fit attention, mais, pour moi, un voile s’était levé : quels essais ? Eh bien, ceux de l’aérotrain ! En quelques minutes, j’appris tout : mon monument était en réalité un rail. À la fin des années soixante, on y avait testé un prototype de motrice sur coussin d’air. Le projet, trop coûteux, avait finalement été abandonné au milieu des années soixante-dix.
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C’est un long trait de béton, tendu à sept mètres au-dessus de la Beauce, entre les communes de Saran, Cercottes, Chevilly et Ruan. Tout entortillé d’arbres et de pylônes, il déroule ses arches au-dessus des champs, avant de disparaître sous les futaies. Etirée sur dix-huit kilomètres, la structure échappe largement au regard : on n’en voit que des tronçons, morcelés par la topographie.
La piste ne mène nulle part, et pourtant je l’ai remontée, impatient de me perdre. Maintenant que c’est fait, et dans des proportions qui excèdent très largement mes désirs, elle reste mon seul territoire.
Nu, le béton de cette banderole est pour moi couvert de signes. C’est pour les déchiffrer que j’écris. Je voudrais comprendre ce qui s’est joué là-haut, et pourquoi je ne suis jamais descendu, trouvant partout, entre le monde et moi, la belle distance qu’a instaurée ce portique, et dont je n’ai jamais su me défaire.
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J’habitais le rêve d’un homme, la folie d’une entreprise menée envers et contre tous, la ruine d’une forteresse aérienne. Pendant plus de quinze ans Bertin avait régné sans partage sur ce fief suspendu, et j’avais pris la suite, comme un braconnier s’installe, en douce, dans la métairie d’un parc abandonné par ses propriétaires.
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Les échanges amoureux n’aiment pas la publicité.
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