- La chose qui nous poursuivait... C'était quoi ?
- C'était la Peur, mon pote.
Une grande fatigue le prit. Il essuya la sueur qui lui tombait sur le front et il se concentra sur la route.
Tout ça est réel ?
Il n'y a aucun moyen de retourner en arrière ?
.... Alors c'est ça grandir ?
Il se disait ces choses pour la première fois de sa vie.
( p 336)
C’était arrivé. La vague avait brisé la digue, comme ça. Tout avait sauté à l’intérieur de P’pa ! Comme ça. Il ne contrôlait plus rien, et il s’était mis à vouloir tout casser, même sa fillette… Ce soir… Même sa fillette !...
C'est ce qui se passe quand on garde tout pour soi. On meurt ou on s'en va.
Il connaissait Durango par cœur… mais là, c’était la nuit. En plein jour Don avait pas peur ; il voyait les choses, il voyait les gens. Il voyait la tronche à Butler, derrière ses courges. Mais dans la nuit, Donnie… la nuit opaque… épaisse… épaisse et vide… Dans la nuit sans fin, on frôle des choses épouvantables, un danger flotte tout près…
Lequel ?
Bon, il en savait foutre rien.
J’ouvre l’œil lorsque la faim me tord le ventre.
Dans le ciel du Colorado, une seule étoile brille comme un œil attentif et curieux.
Je relève mon chapeau. Il est minuit.
Alors, sous la lune qui rit, je cours à travers champs et saute dans le premier convoi qui passe.
J’élève un hanneton qui dort et parfois se réveille, tournant tout autour de la boîte de mon crâne.
Ils m’ont chassé des villes.
Je sors la carte de mes poches. Des rails minuscules, des balafres pour guides.
La lune fait briller les noms.
La lune – elle rit pour se moquer de mon ombre, trop grande et difforme… Je la salue d’un coup de chapeau !
Le blé pourrit sous mes pas.
Faisant tournoyer de longues spires de neige à l'intérieur du hangar, le vent les cueillit de plein fouet. Dans un coin de leur cerveau, la Peur rampait sans se presser dans son égout.
( p 332)
Les étoiles brillent comme des yeux froids.
La flamme couve. Dans la marmite de l'ogre, ça tressaute et ça se débat. Et puis ça s'arrête de bouger. Le vent descend de la montagne pour danser autour de ma bouche. Mes narines s'écartent..... C'est prêt! Je frotte mes mains devant la flamme. Un dîner aux chandelles....
C'est fou comme dans le noir le cerveau perd le nord.
Dans un coin de leur cerveau, la Peur rampait sans se presser dans son égout.