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EAN : 978B001BMX90Y
Michel Lévy frères (30/11/-1)
4.5/5   3 notes
Résumé :
I - CAISSE
II - MADAME BENOIST
III - ÉLODIE
IV - BOITE AUX LETTRES
V - IDYLLE
VI - LE BONHEUR D'ERNESTINE
VII - APPARTEMENT A LOUER
VIII - MADAME HERCULE
IX - MAME LÉONARD
X - DUO
XI - MADEMOISELLE ÉVA, ARTISTE DRAMATIQUE
XII - DE PROFUNDIS
XIII - ENDROIT ET ENVERS
XIV - ENSEIGNEMENT MUTUEL
XV - FLEUR-DES-CHAMPS
XVI - LE MUSÉE D'ALBERTINE
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Parlez d'elle, prononcez son nom, et aussitôt, car elle eut une notoriété, il vous sera répondu :
— Absinthine !... Ah ! oui, il paraît que c'était une fille charmante ; seulement la malheureuse avait un défaut horrible.
Elle buvait.

C'est vrai.
Si vrai que je vais vous conter son histoire en détail, moi qui ai pris sur son compte des renseignements précis.
Une histoire qui n'est pas compliquée, d'ailleurs, comme vous l'allez voir.
La petite Absinthine (on ne l'appelait pas ainsi alors, mais puisque c'est le nom sous lequel elle était connue...), la petite Absinthine avait trois ans au plus.
Le père était un ivrogne, un de ces ouvriers comme il y en a trop, qui déshonorent le travail, cette sainte chose.
Quand il touchait sa paye, au lieu de rentrer à la maison, il faisait ce qu'on appelait son voyage autour du comptoir. Tant qu'il lui restait un sou en poche, on ne le revoyait pas au logis.

Mais quand sa dernière pièce était tombée dans le tiroir du mastroquet, en même temps que le dernier verre d'eau-de-vie était tombé dans le gosier du malheureux, alors, titubant, vociférant, hideux, il s'acheminait vers la mansarde où la petite Absinthine grelottait de froid ou pleurait la faim à côté de sa mère. Il entrait en poussant la porte d'un coup de pied furibond.
Sa première parole était :
- J'ai soif !

La mère savait ce qu'il y avait derrière ce cri-là.
Des injures, des coups... peut-être un crime.
Et il fallait mettre une bouteille d'absinthe devant l'ivrogne.
Et il exigeait, jusqu'à ce qu'il eût roulé inerte sur le carreau, que l'on trinquât avec lui.

La femme d'abord, puis la petite...
Oui, la petite !
Il prenait un verre, mettait un peu d'eau dedans, une cuillerée à café de la liqueur verte par-dessus, et, collant le breuvage aux lèvres tremblantes de l'enfant :

- Allons, avale !
Si la mère intervenait, il levait le poing en l'air :
- Malheur !... Avale plus vite que ça !

Et voilà comment, pour ses débuts en ce monde...
Elle a bu !

Seconde étape.
La mère n'avait qu'un but : soustraire à ces odieux contacts la fille qu'elle aimait.
Car le père était devenu de plus en plus féroce dans son délire alcoolique.
On maria Absinthine.
Elle n'avait seize ans que depuis huit jours.
On n'avait pas pris grand soin ni grand souci pour ce mariage-là.
Vous pensez si l'on avait le droit d'être difficile.
Ce fut le premier venu qui cueillit cette fleur de misère.

Le premier venu se trouva être un abominable chenapan, — un de ces champignons vénéneux qui poussent entre deux pavés sur le fumier parisien. Tous les instincts vils.

Le hasard, qui n'en fait jamais d'autres, avait donné à Absinthine toutes les aspirations généreuses. Elle l'aimait, celui à qui l'on avait enchaîné sa vie.
Elle l'aimait parce que ces natures-là ont besoin d'aimer quand même.
La première fois qu'il ne rentra pas le soir, ce fut une immense douleur. Elle pleura. Quand il revint, elle le supplia.
Il répondit par des lazzis grossiers.

Il recommençait trois jours après. Elle alors, un soir qu'elle était seule, folle de jalousie impuissante, se souvint du temps où elle était bambine.
Elle se rappela le liquide verdâtre que son père lui avait si souvent fait avaler de force.
Elle descendit. Lorsqu'elle remonta, elle cachait une bouteille sous son pauvre châle rapiécé.
Depuis lors, la débauche du mari suivant son crescendo, elle aussi a suivi l'entraînement fatal.
Oui, parbleu, vous avez raison...
Elle a bu !

Un jour, le mari n’est plus revenu du tout.
Sur quel banc de boue s’était-il échoué ?
La police correctionnelle ?… La cour d’assises ?…
Peut-être !
Ou bien il avait roulé dans les bas-fonds de l’aphonsisme, où grouillent tant de hontes cyniques !
Le fait est qu’elle n’en entendit plus parler.
Un mois s’écoula, deux mois, trois mois…

Au bout d’un an, pendant lequel elle avait usé ses forces dans un travail improductif, usé son coeur dans une douleur stérile, le découragement vint.
Un découragement, mauvais conseiller.
Songez qu’elle n’avait pas dix-huit ans encore. Songez qu’elle était vraiment belle, malgré ses haillons.

Il passe par là, je ne sais quel étudiant en quête de gibier. C’était, je crois, au jardin des Plantes, un matin où elle était elle goûter un peu de soleil.
Je n’ai pas besoin de vous raconter le reste.
Elle fut la maîtresse de l’étudiant.

Seulement, il aimait la gaieté, ce jouvenceau.
Il reprochait à Absinthe d’avoir des airs à porter le diable en terre. Il lui reprochait aussi sa mine pâle et amaigrie.
Car elle commençait à tournailler de cette toux sèche et brève qui en dit plus long qu’elle n’en a l’air.
— Voyons, Absinthine, c'est crevant, tâche donc de te dérider un peu.
Ou bien encore :
— Absinthine, ma fille, je ne pourrai plus te mener nulle part, si tu continues. Tu jettes un froid.

Il le lui avait répété si souvent et sur tant de tons qu'elle comprit qu'il fallait obéir ou retomber seule sur le trottoir nu.
— Sois tranquille, répondit-elle un jour, je vais être gaie maintenant.
Pour la seconde fois elle s'était rappelé son enfance.

Le soir même à la brasserie, animée, ardente, presque folle, elle disait un refrain populaire aux applaudissements de la galerie.
Et chaque fois qu'on le lui faisait répéter, elle criait auparavant :
— Garçon, une absinthe!

Cela a continué ainsi. Il fallait bien que cela continuât, il est des pentes qu'on ne remonte pas. Et chaque jour, du matin au soir, souvent aussi du soir au matin...
Elle a bu !

Cependant, pour son malheur, elle avait des intervalles de lucidité, — je veux dire des intervalles de dégoût... Son étudiant l'avait quittée. Un autre, qui l'avait prise à la petite semaine, l'avait quittée aussi.

Quand elle fut au quatrième, un de ces éclairs dont je parlais tout à l'heure lui traversa le cerveau.
Elle dit :
— En voilà assez !
C'était le soir... Elle s'en alla à travers les ténèbres du côté de Grenelle, — un quartier où l'on n'est pas dérangé pour les expéditions du genre de celle qu'elle entreprenait.
Il bruinait, il ventait... Un ciel noir, un ciel de cinquième acte de mélodrame.
Elle entra sur le pont désert...
On voyait au loin dans la brume sombre scintiller les lumières de Paris. Derrière, les coteaux de Meudon dormaient dans les ténèbres.
Elle n'eut pas une minute d'hésitation.
Elle n'avait pas un souvenir à léguer à qui que ce fût.
Tout droit, elle marcha jusqu'au milieu du parapet, se hissa, puis s'élança.
Un bruit sourd, qui ne fut entendu de personne... et elle disparut sans pousser un cri.
Elle avait bu !
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LE BONHEUR D'ERNESTINE
Intérieur bourgeois. Une chambre à coucher où, selon l'expression familière, tout est en ordre.
Devant la glace de la toilette, une dame d'un âge respectable promène sur son visage mûri le bout de son doigt enveloppé dans une serviette qui a été préalablement frottée sur un petit pot de rouge. Devant la glace de l'armoire, une jeune fille ondule les cheveux en les pinçant avec un fer. Devant un miroir attaché à l'espagnolette de la fenêtre, un monsieur bedonnant et consciencieusement laid, achève de se raser en se livrant à des grimaces propres à fournir la démonstration décisive de la théorie qui nous fait descendre du singe.
La dame est la maman. 
La jeune fille est la demoiselle.
 Le monsieur est le papa.

« LA MAMAN. — Ça sent le brûlé... Ernestine, tu te roussis les cheveux...

LA JEUNE FILLE. — Non, mère.

LA MAMAN. — Je te dis que ça sent le brûlé... Tu ne vas pas détériorer un de tes plus beaux ornements pour le jour solennel où tu dois être présentée à ton futur !

LA JEUNE FILLE. — ... (Un soupir.)

LA MAMAN. — Hein ?

LA JEUNE FILLE. — Je ne dis rien.

LA MAMAN. — Si tu crois que je ne t'ai pas entendue soupirer !

LE PAPA. — Le fait est, bichette, que pour une date aussi mémorable, tu as l'air d'un enterrement.

LA JEUNE FILLE. — Je ne veux pas me marier. Pourquoi me force-t-on ?
LA MAMAN. — Parce que vous êtes une petite sotte qui ne savez rien de la vie, et qu'il faut avoir du bon sens pour vous.
LA JEUNE FILLE. — Je...
LE PAPA. — Ernestine, ce n'est pas bien. Depuis huit jours tu fais de la peine à ta pauvre mère... Qu'est-ce qu'elle veut ? Ton bonheur !
LA MAMAN. — Laisse donc, Alcide, tu perds ton temps. Il faut nous résigner à l'ingratitude... Mais ce que j'exige, c'est que devant le monde vous ne laissiez rien paraître de votre mauvais vouloir. Nous avons quinze personnes à dîner pour faire honneur à M. Bordin. Vous tâcherez de vous tenir.
LA JEUNE FILLE. — Je n'ai pas l'habitude de...
LA MAMAN. — Pas de réflexions. Arrivez ici que je vous lace. Vous ne savez même pas faire valoir vos avantages. Vous vous étranglez la poitrine... Là... Qu'est-ce que c'est que ça ?
« LA JEUNE FILLE. — Mais c'est ma robe blanche. »
« LA MAMAN. — Je le vois bien... je ne suis pas aveugle. Mais tu penses vraiment porter cette robe pour ce soir boutonnée jusqu'en haut ? »
« LA JEUNE FILLE. — Il me semblait... »
« LA MAMAN. — Tu peux te dispenser de prendre des airs de mijaurée... Tu me feras le plaisir de rentrer les côtés dedans... Encore plus... De trois boutons... Tu n'as pas besoin de cacher ce que tu as de bien... La première femme de M. Bordin lui a laissé des souvenirs contre lesquels tu as à lutter... C'était une personne magnifique... surtout pour la prestance. »

« LE PAPA. — C'est ce qu'à l'âge de Bordin et au mien nous apprécions le mieux... Aïe ! Je me suis coupé ! »
« LA MAMAN. — Vous feriez mieux de vous raser en silence que de faire des observations pareilles... M. Bordin, d'abord, a cinq ans de moins que vous... »
« LE PAPA. — Cinq mois... »
« LA MAMAN. — Cinq ans, vous dis-je. Dans tous les cas, il est aussi bien conservé que vous êtes décrépit... »
« LE PAPA. — Mais... »
« LA MAMAN. — Vous avez repassé la romance que je vous avais signalée ? La Fleur brisée ? Une allusion discrète à son veuvage... Vous chanterez ensuite : Le cœur ne vieillit jamais... Il comprendra que c'est pour lui... Et vous tâcherez d'y mettre de l'expression. »
« LA JEUNE FILLE. — Tu ne veux pas, je suppose, mère, que j'aie l'air de me jeter à la tête de M. Bordin ? »
« LA MAMAN. — Il ne s'agit pas de se jeter à la tête... et je vous prie de ne pas vous servir d'expressions capables de porter atteinte à l'honorabilité de votre mère. »
« LA JEUNE FILLE. — Moi ? »
« LE PAPA. — Le fait est que tu as l'air de dire que ta mère veut se débarrasser de toi quand même. »
« LA MAMAN. — Taisez-vous donc ! Vous, dépêchez-vous de mettre votre habit noir... Dans un quart d'heure, nos invités vont arriver... Vous êtes-vous occupé des places ? »
« LE PAPA. — J'ai dressé la liste. »
« LA MAMAN. — C'est cela ! Vous allez flanquer madame Duras à côté de M. Bordin. »
« LE PAPA. — Eh bien, pourquoi pas ?»
« LA MAMAN. — Dame ! Belle idée ! Une femme qui a toujours cinq ou six filles à marier dans sa manche ! Pour qu'elle lui en propose une autre qu'Ernestine, n'est-ce pas ? »
« LE PAPA. — Je n'y avais pas pensé. Je te demande pardon. »
« LA MAMAN. — Il faut que ce soit moi qui m'occupe de tout... Vous mettrez à la droite de M. Bordin le cousin Duponceau. Il est sourd comme un pot. De cette façon-là il ne pourra parler et le fiancé sera forcé de causer tout le temps avec Ernestine. »
« LE PAPA. — Tu as le génie diplomatique de Talleyrand. »

« LA MAMAN. — À ce propos, mademoiselle, vous avez retenu mon instruction d'hier soir ? »
« LA JEUNE FILLE. — Oui, mère. »
LA MAMAN. — Vous lui parlerez du dernier sermon de l'abbé Fauvel... M. Bordin aime qu'on ait la foi... Je m'en suis informée.
LE PAPA. — Mais pas du tout ; c'est un libre-penseur. Il raffole de Voltaire.
LA MAMAN. — Comment se fait-il alors que l'on m'ait dit...
LE PAPA. — Il est franc-maçon... Je connais le vénérable de sa loge.
LA MAMAN. — Alors vous ne lui parlerez pas de sermon du tout... S'il vous questionne sur vos sentiments religieux, vous lui répondrez que la vraie religion c'est de faire le bien sans hanter les églises... Vous entendez ? Vous ajouterez que vous détestez l'hypocrisie, et vous placerez adroitement un mot contre les Tartufes... Après cela, nous sommes convenues d'un mot sur la défunte... Pas trop d'affectation ; une émotion contenue ; puis vous aurez l'air de glisser... Ah ! n'oubliez pas de demander quelque chose en anglais à M. Richardson, votre ancien professeur, qui sera placé en face de vous... M. Bordin doit tenir énormément à l'anglais pour ses relations commerciales... Vous m'entendez ?

LA JEUNE FILLE. — Mais je ne l'aime pas, mère ! Je ne l'aimerai jamais !
LA MAMAN. — Qu'est-ce qui vous prend?... Est-ce que je vous parle d'amour, moi !... Est-ce que je vous demande quelque chose sur ce sujet-là ? Je veux assurer votre bonheur, voilà tout.
LA JEUNE FILLE. — Est-ce qu'on peut être heureuse avec un mari qu'on n'aime pas ?
LA MAMAN. — Vous en êtes encore là !...
LE PAPA. — Mais, bichette, s'il fallait s'adorer parce qu'on est marié... Aïe!... je me suis encore coupé.
LA MAMAN. — Vous ne vous tairait donc pas !... Allez-vous-en vous habiller...
LE PAPA. — J'ai encore à me repasser le menton.
LA MAMAN. — Vous avez dix-neuf ans... Nous n'avons pas le moyen de vous donner une dot. Un parti avantageux se présente... un négociant qui a su gagner 20,000 francs de rente.
LA JEUNE FILLE. — Après avoir fait faillite.

LA MAMAN (furieuse). — Il a été réhabilité. Mademoiselle... D'ailleurs, je n'ai pas d'explications à vous donner... Vous épouserez M. Bordin, et nous irons vivre à la campagne, votre père et moi... Nous avons bien le droit de nous reposer... Tenez, attachez-moi les boucles d'oreilles en diamant que madame Gauchet m'a prêtées pour que je représente mieux... Prenez donc garde, vous me pincez... Maintenant... (Elle appelle.) Sophie!
(Survient la bonne.)
LA MAMAN. — Vous allez boutonner les bottines de mademoiselle pendant que je vais donner un coup d'oeil à la table.
SOPHIE. — Oui, madame.
(La maman sort.)
LA JEUNE FILLE. — Oh ! ma bonne Sophie, je t'en prie !
SOPHIE. — Quoi donc, mademoiselle ?
LA JEUNE FILLE. — Mets-moi cette lettre à la poste pour M. Léon. Surtout que maman n'en sache rien !
SOPHIE. — Parbleu ! (Elle boutonne les bottines.) À présent, je cours à la boite.
(Sophie, à part.) : « Allons semer de la graine d'adultère ! »
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