Mon musée imaginaire

Comme chez Botticelli, toute la suavité du Quattrocento dans les figures et les visages sautent aux yeux. Le dessin de Léonard est plus naturel et moins sophistiqué que chez son contemporain Botticelli, le travail du pinceau est encore plus raffiné, mais la composition est aussi originale que mystérieuse.

L'Ève de Masaccio voile de ses mains son sexe et sa poitrine : Masaccio a regardé des statues antiques du type de la "Vénus pudique". Et surtout il a beaucoup regardé les sculpteurs italiens de son temps. Or, depuis un siècle et demi, en une autre "épidémie de génie", l'Italie possédait une grande sculpture originale, d'une grande dignité. Antérieur d'une demi-génération à Masaccio, qui a été son ami, Donatello est l'égal d'un Michel-Ange.
(Adam et Ève sont expulsés du Paradis terrestre - Masaccio - Florence, église Santa Maria del Carmine, chapelle Brancacci)

Cette lecture est une communication, toute belle peinture qui s’ouvre à nous étant entourée d’une aura affective qui nous parvient. Comme la beauté musicale, la beauté picturale est pétrie d’affects, tendresse, pathétique, grâce, violence, religiosité, solennité, majesté, élégance, sensualité, fantaisie, pittoresque, voire humour ; le calme aussi peut devenir un affect. Plus que la parole et comme la musique, l’œil est le plus court chemin d’un homme à un autre. La stridence d’une tache rouge, un manteau d’un bleu céleste, des contours souples ou au contraire déchiquetés sont déjà des messages. Chez Véronèse, la tranquillité des personnes, des couleurs, de l’espace et de la lumière est un état d’âme.

À ce peintre de la joie de vivre et d'un humanisme purement terrestre, il est arrivé une chose qui était fréquente en ce temps-là : à la fin de leur vie, artistes et poètes composaient des vers pieux ou peignaient des toiles religieuses. La peur de la mort a rendu Véronèse plus pieux qu'il ne l'avait été.
Le chromatisme de sa peinture en a été modifié : ses tonalités confessent le message chrétien en s'assombrissant de plus en plus. Il en est résulté des chefs-d'œuvre émouvants, dont cette scène nocturne.
Ce tableau de petite taille est un nocturne et une oeuvre de piété. Le Christ sait qu'il va être arrêté et va mourir. Dans son désespoir, il est soutenu par un ange, puisque ses disciples, eux, dorment.

Véronèse, Le Christ au jardin des Oliviers (1583 - Pinacothèque de la Brera, Milan).

Ces fresques ont été commencées en 1499. Or, en 1498, à Florence, avait fini sur le bûcher le moine Savonarole, qui avait renversé les Médicis en 1495 et établi à Florence sa théocratie piétiste et repentante (où furent pieusement détruites quelques oeuvres d'art). Signorelli aurait-il Savonarole sous les traits de l'Antéchrist ? On en discute. Peut-être suffit-il de penser que, sans viser expressément Savonarole, Signorelli s'est inspiré de "choses vues" au cours de la brève révolution théocratique florentine : sa fresque est une image d'actualité.

Luca Signorelli - Prédication et faits de l'Antéchrist (1499-1502 - Chapelle San Brizio - Cathédrale d'Orvieto)

Son admirable Madeleine, nullement repentante, est pleine de dignité, de force, de certitude de soi. Sa noblesse intérieure a dépassé le sentiment de culpabilité et l'étape du repenti. On la voit ici telle qu'elle est au Paradis parmi les Bienheureux.
N'y aurait-il pas ici un souvenir de Dante, Paradis, IX, 103-105 : non però qui si pente, ma si ride, etc. : "(au Ciel) on ne se repent pas. on ne pense plus à ses fautes, mais on s'épanouit (en pensant à) la Valeur (de Dieu) qui a pourvu et prévu (qu'on ait pu s'élever au-dessus de soi-même)." En effet, Dante avait lu chez saint Thomas qu'au Paradis les élus ont perdu tout souvenir, et donc tout remords de leurs péchés.
Piero Della Francesca, Marie Madeleine (1460 - Duomo di Arezzo)

Sous un ciel matinal d'azur léger, la première femme au monde, Ève, une vieillarde aux seins pendants (elle est âgée de neuf cent trente ans), est debout derrière le premier homme, Adam, à la décrépitude épique, qui est en train de mourir. C'est un des grands moments de l'histoire humaine : pour la première fois un homme meurt de vieillesse, de mort naturelle.
Piero Della Francesca, La Mort d'Adam (1452 - Fresque dans la basilique Saint-François d'Arezzo)

Giotto est un scénariste talentueux, un bon metteur en scène, un directeur d'acteurs eux-mêmes expressifs. Mais, outre l'art du récit, il a aussi le don plus formel de savoir composer, de disposer ses figures d'une manière qui plaise à l'œil et qui confère une puissante unité formelle à l'ensemble de la scène même aux yeux d'un spectateur qui ne connaîtrait pas le sujet de la scène.

En peinture, selon un mot connu, l'Italie a traversé "une épidémie de génie, comme il y a des épidémies de peste" qui a duré cinq siècles, de Giotto à Tiepolo. Épidémie qui n'a pour égale celle qui a affecté la peinture flamande et hollandaise vers la même époque.

Le monde du Caravage est global et banal, si bien que ce monde nous donne le même vertige métaphysique que celui que nos yeux voient :d'où sort cette réalité qui s'impose à nous ,mais qui ne repose sur rien où tout n'est et ne sera jamais que faits-divers ,Y compris l'Evangile, y compris la pire atrocité , y compris notre propre mort?