Citations sur Le Fantôme de Belle-Île (18)
Depuis cette trahison – quel autre mot employer ? –, sa confiance en l’espèce humaine est descendue de quelques degrés. Est-ce cette raison qui l’a poussée à bifurquer sur une carrière policière ? Inutile de mentir, la réponse est oui, mille fois oui. Un moyen de se protéger en défendant la cause des autres, d’oublier son propre malheur en découvrant celui d’autrui… en la matière, il y a de quoi faire.
C’est une modeste bâtisse aux volets bleus, engoncée dans la bourgade de Locmaria. Un endroit au bout du monde où le temps semble s’arrêter, transformant les affres urbaines en un lointain souvenir.
Cette femme, sa femme, semble sortie d’un rêve, un mirage d’un autre âge débarqué dans son existence.
Qu’importe, l’argent est fait pour être dépensé, sinon, à quoi bon trimer comme une bête ? Surtout que Vanessa et son homme ne sont pas à plaindre. Genre couple bobo, difficile de faire mieux. Deux cadres dans une banque réputée – la même, où ils se sont rencontrés –, petit appartement standing en plein cœur de Paris – si l’on considère petit un soixante-douze mètres carrés face à la tour Eiffel – coupé Audi pour frimer sur la route, que demande le peuple ?
Et là où elle va, ce n’est pas Port-Barcarès, mais plutôt Port-Désastre ! La Bretagne, mais quelle mouche a piqué Paul ? Pourquoi pas l’Islande, tant qu’il y était…
Les maillots de bain, OK, les serviettes de plage, c’est bon, la crème solaire – très importante, la crème solaire – posée dans le vanity-case… Paréos, robes légères, sandalettes, casquette, Vanessa détaille sa valise d’un air satisfait. Rien ne manque… à condition que le soleil brille pendant quinze jours. La jeune femme grimace, obligée d’ouvrir le tiroir pour attraper l’un de ces maudits pulls. Par ce geste, elle a peur d’attirer la poisse. Les dernières vacances estivales, à Port-Barcarès, elle s’en souvient encore. Dès que le soleil daignait pointer le bout de son nez, aussitôt, la tramontane prenait le relais. Du sable dans les yeux, les enfants – des autres, Vanessa n’en veut pas – qui pleuraient, son homme qui grognait, quelle ambiance !
- Vous comprenez, d’avoir vu…
Le père d’Agnès pointe du doigt la plage… vide. Que dire devant l’impensable ? L’un des secouristes commente, l’air goguenard :
— On dirait bien que notre ami a repêché un fantôme.
— Il a surtout trop péché par excès de calva…
L’homme conclut d’un geste explicite. Le père d’Agnès ne répond pas à la moquerie. Il se contente d’observer les environs à la recherche d’un indice, mais sa prospection restera vaine…
Le père d’Agnès descend les escaliers d’un pas pressé. Il foule le sable sans oser affronter le regard des hommes qui le suivent. Finalement, contraint d’admettre l’incroyable, il se retourne.
— Il était là, ma fille peut en témoigner.
— Votre fille ?
— Elle a 10 ans, elle était avec moi tout à l’heure.
— Où est-elle, maintenant ?
— Elle est retournée auprès de sa mère.
La dernière dune est en vue, petit obstacle avant la découverte d’un panorama unique. Les trois hommes s’arrêtent au sommet du monticule. En contrebas, la plage s’étale sur sa longueur infinie, un horizon plein de promesses. Les secouristes posent les yeux sur le sable, la mine embarrassée.
— Et le noyé, il est où ?
— Je ne comprends pas…
— Vous êtes sûr, il est vraiment mort ?
— Oui, répond le père d’Agnès.
Le voilà sur les dunes, en bordure de plage. Les deux secouristes qui l’accompagnent paraissent nerveux. Les hommes sont pressés d’intervenir, lui l’est moins. À quoi bon se précipiter, l’homme est mort depuis plus d’un quart d’heure. Le temps nécessaire pour faire l’aller-retour jusqu’au village. À moins d’un miracle…