D'ordinaire, j'aime les romans noirs, ils s'inscrivent toujours plus ou moins dans une veine sociale que j'apprécie, une cartographie de la société à un moment donné, dans un lieu donné.
Aveu de faiblesses tente de s'inscrire dans cette mouvance, hélas, l'accumulation des clichés et le misérabilisme qui en ressort sont trop poussés pour être crédibles.
Nous sommes dans le Nord de la France, dans un petit village fictif Montespieux sur la Dourde, (notez que la ressemblance phonique entre Montespieux et
Montesquieu, auteur du
de l'esprit des lois, est significative) qu'on imagine facilement fait de ces typiques maisons de briques que l'on réservait aux mineurs. C'est un village frappé par la pauvreté : il a subi de plein fouet la désindustrialisation de la région, les mines de charbon sont fermées depuis longtemps mais aucune nouvelle économie n'a remplacé ce filon. C'est le chômage qui règne en maître, au point que la grand-mère de notre héros, Yvan Gourlet, fera une bien étrange déploration : elle regrette le temps de la mine, où l'on mourrait jeune, mais où l'on mourrait avec de l'argent. C'est dire le niveau de misère qui règne ici ! Ceci dit, si l'industrie est en perte de vitesse, il reste encore quelques usines. le père de Yvan travaille à Boulonnex. Comme de bien entendu, le travail à l'usine est pénible, un travail à la chaîne sans doute, qui marque durablement le père, qui en devient réactionnaire, électeur frontiste et qui, pour échapper à sa condition misérable, fréquente assidûment le bar avec ses collègues. Montespieux sur la Dourde, c'est un enfer. Parce que même si la zone est désindustrialisée, elle est quand même polluée. Les terrains vagues sont désertés par les enfants, des espaces morts, et les eaux sont contaminées. Ça n'empêche pas Yvan de s'y amuser, apparemment inconscient du danger.
Car en plus de la pauvreté pécuniaire, l'auteur juge bon d'y ajouter la misère culturelle et intellectuelle. Yvan est débile, du moins en apparence. Son monde est petit, sa perception en est étriquée. Et c'est très bien rendu par la narration : narration en « je », le lecteur est directement plongé dans l'esprit, disons naïf par convenance, d'Yvan. Et puis, il faut dire qu'il n'est pas aidé, ni gâté par la nature : il est laid, gros, idiot. Sa mère l'étouffe, elle l'emprisonne, consciemment ou non, dans ses propres marottes : la sculpture sur beurre et la collection des étiquettes de camembert. Elle l'imagine volontiers « artiste », peut-être pour transformer, par honte, son idiotie en sensibilité artistique. Il est plus facile de dire que son fils est artiste plutôt qu'imbécile. Yvan est un garçon immature, qui voit le monde par les yeux de sa mère, voit sa mère comme un dieu ayant toutes les réponses. Son univers familial et social est étroit : il n'y a que sa mère qui compte, et tant pis si son père déserte le foyer et ne lui accorde aucune attention, si les autres le rejettent et le persécutent. On a l'impression qu'Yvan est un stoïcien fataliste : il ne se bat pas contre l'ordre des choses, il est résigné, comme étant trop conscient de sa place : le caniveau. Et désireux d'y rester – au moins, il a une place. le frère d'Yvan lui a bien conseillé de partir, de quitter le nid familial avant qu'il ne prenne en haine ses parents, avant qu'il n'arrive une catastrophe. Rien n'y fait, Yvan est heureux auprès de sa mère, le reste…il s'en fout.
Et puis la catastrophe survient. Alors qu'il fouille les poubelles derrière le mur de l'usine Boulonnex, à la recherche d'étiquettes de camembert pour faire plaisir à sa mère, un jeune garçon -qui aime à lui lancer des pierres dès qu'Yvan passe devant chez lui- est retrouvé sauvagement assassiné à l'herminette (un outil de tonnelier et d'artisan du bois). La descente aux enfers commence pour le malheureux Yvan. Les gendarmes partent en quête de témoignages, le voisinage aurait-il aperçu quelque chose ? Quand ils arrivent chez Yvan, et qu'ils lui demandent où il était, sa mère ment : Yvan était au supermarché. Ment-elle pour le protéger ou pour éviter l'humiliation de dire que son fils fait les poubelles pour elle ? Toujours est-il que ce mensonge, vite percé à jour, attire l'attention des enquêteurs, qui se penchent un peu plus sur les faits et gestes de ce gamin immature et suspect.
Qui dit crime d'enfant dit gendarmes sur les dents. Et qui dit gendarmes sur les dents dit enquête bâclée et bavures à gogo. Yvan est humilié, sa garde à vue est au-delà de toute procédure (on lui interdit l'accès des toilettes pour qu'il se fasse dessus, on le fait chier dans un pot de peinture, on le met à poil et on vérifie s'il n'a rien caché dans son anus pour « sa sécurité », on ne lui donne rien à manger ni à boire) il ne bénéficie même pas de l'assistance d'un avocat, à quelque moment que ce soit, alors qu'il est mineur. Les aveux lui sont arrachés : s'il avoue, il retrouvera sa maman lui promet-on. Parce que des aveux, ce sont mieux que des preuves. Et ça épargne la peine d'en chercher. C'est gros ? C'est même très gros, mais ce n'est pas fini. Yvan est amené devant le juge d'instruction (mais où est le juge pour enfants dans cette histoire ? Yvan a certes 17 ans, mais il est mineur) qui décide de le mettre en préventive. OK, mineur, il ne va pas dans un centre réservé pour les mineurs, il va en prison, il ne passe pas par la case départ et il ne touche pas 20 000 euros. Et enfin, on lui recommande un avocat (sérieux, il était plus que temps, non ?) Avocat qui a eu son diplôme dans une pochette-surprise parce que, même si la procédure est illégale, il recommande à son client de ne pas aborder ce point pour « ne pas braquer inutilement le juge contre lui ». Mais QUOI ? C'est illégal, mais bon…tant pis, mieux vaut ça que de vexer le juge ? Sérieusement ? Il veut pas relire le code de procédure pénale l'avocaillon ? Non non, que nenni, il continue sur sa lancée et distille les pires (mais vraiment les pires) conseils que je n'ai jamais entendus/lus : Yvan ne doit pas non plus dire que ses aveux lui ont été extorqués, qu'il a passé 48 heures d'humiliations et de privations, non parce que les droits fondamentaux de l'être humain, on s'en tape aussi (déjà que l'on se fout totalement du code de procédure pénale…) Il lui conseille aussi de participer à la reconstitution de la scène de crime, alors qu'Yvan vient de se rétracter et de revenir sur ses aveux. C'est malin ça, de conseiller à son client de reproduire des gestes qu'il nie avoir fait ; mais encore une fois, il ne faut pas se mettre le juge d'instruction à dos…(j'hallucine) [...]
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