Outre l’épilogue de ce roman dont je vous promets qu’il vous est aussi terrifiant que surprenant, le nouveau roman de Frédéric Viguier poursuit dans la veine implacable de son premier opus, Ressources inhumaines.
Nous partageons cette fois le quotidien des Gourlet, une famille française ordinaire. Le père est ouvrier dans l’une des trois dernières usines à pouvoir offrir encore du travail à la population locale, la mère est fonctionnaire à la caisse-maladie, leur aîné, Ludovic, a quitté le domicile familial pour un studio à Lille où le chômage semble devoir l’attendre. Reste Yvan, le plus jeune des enfants, né en juin 1984, qui est élève dans un lycée professionnel et envisage de devenir menuisier. C’est lui qui prend la parole pour nous offrir une tranche de cette réalité sociale qu’il est difficile d’affronter aujourd’hui, tant elle fait peur. À Montespieux-sur-la-Dourde, cette nouvelle lutte des classes prend la forme d’un lotissement récemment construit où vivent «ceux qui ont réussi» et s’isolent du reste de la population par un grillage et une société de surveillance.
Face au désœuvrement, chacun essaie de trouver la parade. Pour le père, c’est le bistrot, pour la mère c’est une collection de boîtes de fromage et de la sculpture sur beurre (qui la pousse également à offrir des menus riche en graisse à la famille) et pour Yvan, ce sont des escapades du côté de l’usine. Dans cette zone polluée, il peut notamment trouver dans les poubelles de quoi compléter la collection de sa mère. Car le jeune homme n’est guère aimé, se trouve moche et s’isole de ses collègues de classe.
De retour de l’une de ses expéditions, il voit débarquer des policiers, chargés d’une enquête de voisinage après la découverte du corps sans vie du petit Romain Barral. Sa mère ne voulant avouer qu’il fouillait les poubelles pour y dénicher des boîtes de fromage indique aux enquêteurs qu’il était allé acheter une boîte de camembert au supermarché. Un mensonge qui va pousser les enquêteurs à s’intéresser davantage à lui jusqu’à en faire un suspect. « On est partis tous les trois dans une vraie voiture de police bleue avec marqué "Police" sur les portières et le capot. (...) J'ai pensé à ma mère qui allait s'inquiéter. J'ai eu envie de pleurer en pensant à la tristesse qu'elle allait éprouver pour son fils. »
De fil en aiguille, l’implacable machine policière puis judiciaire va réussir à broyer Yvan, à l’entraîner dans une spirale infernale dont il ne pourra s’extraire. Sous la pression de l'inspecteur Grochard, Yvan fera même des aveux.
Tout l’art de Frédéric Viguier réside dans la manière très subtile qu’il a de nous livrer alors les différentes versions, de suivre la psychologie des parents, celle des différentes parties au procès et, bien entendu, l’état d’esprit du narrateur. « Un jour, j’ai pris conscience que les années avaient passé, sans que l’on me prévienne, et que le souvenir de mes espoirs de rédemption s’était estompé, au même rythme que la transformation de mon visage. »
Une construction aussi étincelante que diabolique dont j’ai déjà dit qu’elle conduira à une fin époustouflante. C’est Machiavel chez les ploucs, c’est Simenon adapté par Ken Loach, c’est à cocher dans la liste de vos prochaines lectures !
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