Citations sur Une femme seule (21)
Humbert avait laissé le volant à son équipier et inscrivait des notes sur son carnet. Il avait dix-huit kilomètres de route entre Saint-Farge et Châteauvillain pour réfléchir.
Une femme seule. L’ex-femme d’un chanteur. Sans enfants. Écrivain. Et la victime, qui ne s’était pas retrouvée le long de la clôture de L’Ermitage par hasard. Elle cherchait peut-être Marc Eden. Pourquoi pas ? Le groupe devait compter un paquet de jeunes et jolies filles parmi ses fans !
Ladro savait qu’il était malvenu de déranger le capitaine dans le cours de ses pensées tant qu’il ne posait pas lui-même, à voix haute, les questions qui le tarabustaient.
Ce type respirait l'autosatisfaction. Son ego était si enflé qu'il n'avait pas besoin du mensonge ou de la manipulation pour briller en société.
Le sous-bois exhalait des odeurs de terre mouillée et d’humus. Plus loin, en se rapprochant des granges, il identifia celle du foin séché, des restes de printemps. Cet environnement lui était familier, il avait l’habitude de travailler en milieu rural, de courir et de se promener dans les bois. Pourtant, tout ici lui semblait étrange. Le sentiment d’isolement restait puissant, malgré la présence diffuse des chasseurs évoluant alentour. L’impression de bizarrerie qu’il avait ressentie à son arrivée ne faisait que se confirmer.
- Le sentiment d'être différente, d'être hors du commun balayait la réalité. Ce qui se cachait derrière les paillettes, c'était tout simplement pathétique. Je n'aurai mis que dix ans à m'en rendre compte et à me tirer de là.
Elle riait, mais l'évocation de ses souvenirs témoignait de ses difficultés des années plus tard, à tourner complètement la page.
Il faudra que vous passiez à la gendarmerie, à Chaumont, pour signer une déposition. Je vous rappellerai. En attendant, je dois vous demander de nous prévenir si vous souhaitez vous absenter.
– Je n’ai pas l’intention de partir d’ici avant longtemps, n’ayez crainte ! répondit Marianne. Ces quelques jours à Paris m’ont largement suffi !
– Les écrivains sont-ils tous misanthropes ? plaisanta Humbert.
– Misanthrope ? Le terme est un peu fort ! J’ai juste besoin d’un peu de solitude.
Une maigre consolation, cependant : l’endroit était tellement isolé qu’aucun curieux ne viendrait les déranger. Et ils n’avaient pour le moment que deux témoins à interroger, ce Lesueur et cette femme qui vivait à L’Ermitage, Marianne Gil. Restait cette fichue forêt, qu’il faudrait fouiller centimètre par centimètre, mètre par mètre, kilomètre par kilomètre. Le meurtrier avait forcément laissé des traces, qu’il soit venu à pied du village, ou en voiture de la départementale. Et cette fille, comment était-elle arrivée jusque-là ?
Ladro s’occuperait d’organiser les recherches, mais Humbert ne se faisait pas trop d’illusions. Tout était humide et boueux, envahi d’une végétation dense. Difficile de s’y retrouver. Le meurtrier, en revanche, n’avait pas dû avoir beaucoup de mal à disparaître dans l’épais sous-bois.
– Arrange-toi pour que personne n’approche plus du corps avant l’arrivée du légiste et du photographe, ordonna-t-il à son coéquipier. Moi, je m’occupe du substitut.
Des feuilles s’étaient déposées sur le corps, les vêtements avaient absorbé l’humidité du sol et de la végétation : le cadavre avait donc passé une partie de la nuit à cet endroit et dans cette position. Ce qui confirmait sa première datation. Humbert observa également deux ornières, longues d’une quinzaine de centimètres et peu profondes. Manifestement, la jeune femme s’était débattue. Les herbes sauvages aux abords de la scène étaient partiellement aplaties, mais rien n’indiquait que le corps ait été déplacé. Selon toute probabilité, c’était là que la jeune inconnue avait perdu la vie. Il aurait confirmation de ses hypothèses dès l’arrivée du légiste, mais il était sûr de lui.
Le corps était froid et la rigidité cadavérique presque totalement installée ; seuls les membres inférieurs présentaient encore une relative souplesse. La température extérieure avait frôlé le zéro au cours de la nuit, retardant sans doute le processus, mais on pouvait affirmer sans trop d’erreurs que la mort était intervenue huit à douze heures plus tôt.