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Critique de bobfutur


Vollmann fait sans doute partie des très grands auteurs américains contemporains. Ses allures d'adolescent attardé, de « geek » introverti, voire d'étrange ermite habité, font dire au romancier, spécialiste d'Haïti, Madison Smartt Bell, lors d'un portrait pour le New-York Times en 1994 :
« Quand on voit William T. Vollmann, on s'imagine qu'il a passé les dix dernières années dans une pièce sans fenêtre derrière un ordinateur. En fait, on apprend qu'il a passé les derniers mois à risquer sa vie en Thaïlande, en Somalie ou en Bosnie, au risque de faire honte à Hunter S. Thompson, Jack London ou Errol Flynn. de même qu'on ne pourrait le soupçonner d'avoir une ambition littéraire plus outrecuidante que quiconque depuis Faulkner. »
On y apprend aussi qu'il a écrit son premier livre, Les Anges radieux (1987), « en restant au bureau après le travail, se cachant du personnel de nettoyage et ne se nourrissant que des sucreries vendues par les distributeurs automatiques. » ; et qu'il avait commencé ses voyages immersifs et carrément dangereux dès 1982, avec un séjour aux côtés des mujahidins afghans, ce qui l'amènera naturellement à travailler comme grand-reporter, bien que son obsession pour les belles phrases (ce qui au final revêt pour lui le plus d'importance), et son caractère relativement « instable » (ou en tout cas, bien barré…) fassent de lui un singulier écrivain, parfois romancier ou historien, mêlant à chaque nouveau texte tous les degrés de l'écriture.

Ce texte, comme souvent accompagné de magnifiques, hypnotiques et dérangeants dessins — hésitant entre croquis griffonnés rapidement sur une nappe ou bien lors d'un coup de fil, et véritable oeuvres marquées par la trace de l'obsessionnel — est sans doute l'un des plus personnels de l'auteur.
Il marque le second volet de sa trilogie sur la prostitution, achevée par le monumental « La Famille Royale », dont je vous avais livré ma difficile critique l'année dernière, enrichie par celle des babéliotes JIEMDE et le_Bison (qui ne s'en séparerait pas lors d'un naufrage…), sans que l'ordre de lecture ne semble de quelque importance.

Ici, Vollmann se met en scène, entre souvenirs d'enfance et expériences possiblement vécues lors de reportages en Thaïlande et au Cambodge, évoquant également ses voyages en Arctique — avec la partie la plus « dérangeante » de son roman « Les Fusils » qui prend alors les couleurs de la vérité : son absurde et destructrice liaison avec une femme Inuktitut — le tout tournant autour de ses intenses et désarmantes relations avec les prostitués de ces pays.

Inutile de préciser la fascination de l'auteur pour ces êtres à l'existence hors des normes, pour ne pas employer de mots trahissant l'habituel jugement dont, de tout temps, on les affuble. Sujet à la fois trop grave, complexe, et personnellement méconnu pour me lancer dans une telle entreprise, me méfiant simplement d'une certaine morale, sans occulter le caractère archi-tragique de situations, créés avant tout par l'hypocrisie sans fond de nos sociétés consommatrices.
Vollmann, comme à son habitude, y plonge les deux pieds en avant, lui qui parle si bien des « marginaux », leur donnant notamment la parole dans son ouvrage « Pourquoi êtes-vous pauvres ? ».
Son approche déroutante, dont la finalité semble dominée par une forme de trouble affectif, de déformation de ce qui pourrait être considéré comme « raisonnable » voir « réel », piétine l'approche dichotomique de ceux qui préfèrent les appeler « travailleuses du sexe ».
C'est une fois encore une déclaration d'amour impossible à toutes les putes, la menace naissante du SIDA comme fond diffus historique, en plus des lointains khmers rouges, sans traitement « gonzo » ajouté.

Ce papillon est donc éphémère, coloré du reflet trouble des néons, terriblement nocturne et solitaire, car ne demandant jamais à être compris, relayant l'empathie à l'état d'étranges cocons venus de contrées à l'impossible touffeur.
Un voyage éprouvant effectué d'un battement d'aile, gravant son nom d'une délicate encre indélébile sur un insane prospectus, publicité ricanante d'un monde en voie de désintégration.
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