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Citations sur Chansons pour l'incendie (5)

On m’a rapporté une scène qui s’est déroulée à la station thermale de Paipa, où des notables passent l’été. Une femme à la beauté reconnue s’est approchée du bord de la piscine et a retiré son peignoir, révélant à la grande stupéfaction de l’assistance un bikini noir, comme ceux qui sont à la mode sur les plages d’Europe. Le maire a immédiatement appelé un de ses subalternes et lui a murmuré quelques mots à l’oreille, à la suite de quoi l’employé a contourné le bassin sous les yeux de tous et, une fois près de la dame, lui a dit haut et fort, dans l’intention évidente de l’humilier :
–Mademoiselle, monsieur le maire vous informe qu’ici, seuls les maillots une pièce sont autorisés.
La jeune femme s’est levée et, au bord de la piscine, les mains sur les hanches, dans une posture pleine de défi, elle a crié :
-Quelle partie voulez-vous donc que j’enlève, monsieur le maire ?
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 Imagine comme c’est curieux (disait la lettre) : en espagnol il n’y a pas de mot pour dire ce que je suis. Si ta femme meurt, tu es veuf ; si tu n’as plus de père, tu es orphelin, mais qu’es-tu si ton fils disparaît ? C’est tellement grotesque de perdre un fils que la langue ne possède pas de mots pour désigner ces personnes, même s’il est fréquent que les enfants meurent avant leurs parents et que ces derniers passent leur vie à pleurer leur mort.
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La scène de l’aéroport a été tournée sept fois de suite. A chaque prise, quelque chose clochait. Polanski changeait d’avis ou la lumière ne convenait pas. Je refaisais les mêmes gestes et les automatismes s’installaient, me permettant de m’intéresser à d’autres choses qu’à mes mouvements : la veste de Johnny Depp, sa barbe qui semblait postiche mais ne l’était pas, la désillusion savamment étudiée qu’il affichait en marchant. A un moment donné, j’ai levé les yeux vers la plate-forme mobile et regardé le petit homme inexistant dans lequel Johnny Depp et les figurants évoluaient, le monde apocryphe où l’aéroport Charles-de-gaulle avait perdu son identité pour devenir Barajas. Je n’étais plus un écrivain débutant las de vivre à Paris qui allait bientôt partir en Belgique et s’installerait un an plus tard à Barcelone, mais le passager d’un vol venant d’atterrir à Madrid, ignorant que l’homme qui marche à ses côtés s’apprête à entrer en contact avec une secte satanique. Nous autres, jeunes gens de vingt-cinq à trente ans au profil méditerranéen, étions des éléments de ce monde parallèle placé sous les ordres de Roman Polanski, seigneur et maître de nos existences et des lois qui les régissaient. Il dirigeait nos mouvements, pouvait nos intimer l’ordre de parler si tel était son désir, contrôlait nos gestes dans cet univers fictif et, plus important, décidait de la façon dont on nous traitait.
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De l’autre côté du mur, derrière l’arène des combats, se trouvait une boulangerie qui vendait des mojicones et une droguerie où les garçons allaient chercher le journal du dimanche à la demande de leurs parents, et se procuraient en cachette des paquets de cigarettes. Castro était chargé de les acheter et de les distribuer ensuite. Les autres le respectaient à cause de son âge et de sa taille, et aussi parce que son père était juge, mais surtout parce que celui-ci avait été assassiné. On savait qu’il avait instruit le meurtre du ministre de la Justice, perpétré deux ans auparavant, et qu’il avait impliqué les narcos de Cali en plus de ceux du cartel de Medellin, alors sur toutes les lèvres. Un jour, le juge commença à remarquer des individus suspects autour de chez lui et à la sortie du tribunal, mais il refusa toute protection officielle au motif qu’il ne voulait pas que les tueurs liquident d’autres personnes en essayant de le supprimer. En juillet (un mardi), il monta dans un taxi avenue de las Americas et demanda au chauffeur de le conduire rue 48. Quand il arriva à destination, une Mazda verte s’arrêta derrière le taxi et un homme à la tête couverte d’une écharpe en sortit. Sans le questionner ni le menacer ou même l’insulter, l’homme à l’écharpe tira neuf balles à bout portant sur le père de Castro. Sa femme, qui l’attendait dans un funérarium pour veiller une connaissance, apprit sa mort alors que le médecin légiste était un train de lever le corps.
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Il n’était que cinq heures de l’après-midi quand ils arrivèrent à Bogota, mais il faisait déjà nuit. Le trajet avait été long : dans le train et l’obscurité qui par moments était parfaite, on n’entendait pas un mot. Dès qu’ils passaient dans un lieu éclairé, une gare ou une route traversant un village, la lumière soulignait les visages de pierre des soldats, les ramenait au monde pendant un court instant, à croire que son éclat jaune dessinait les sourcils froncés et les bouches crispées avant de les renvoyer dans l’ombre. Salazar découvrait alors avec fascination les multiples expressions que provoque la peur, ou plutôt les ruses qu’elle emploie pour transparaître dans une certaine manière de se toucher le cou ou de pencher la tête et d’observer le dossier vide d’une chaise. Il pensait à ce qu’avaient dit les officiers : là, à deux villages du pont de Boyacá, la police du régime tranchait la gorge de ses ennemis et les armées de la violence civile violaient les femmes pendant qu’eux apprenaient que « Chosen » signifie « la Terre du matin calme » et découvraient que la raison de tout cet imbroglio monumental était les faits qui s’étaient déroulés dans un lieu inexistant : le 38ème parallèle, une ligne noire sur une carte en couleurs.
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