AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de motspourmots


Bon allez, j'ose le dire : Eric Vuillard est un écrivain génial ! J'avais vibré à la lecture de 14 juillet, j'ai été saisie par sa démonstration glaciale et implacable de L'ordre du jour. Il réussit à chaque fois à trouver un écho qui résonne longtemps en nous. Peut-être parce qu'il apporte avec talent sa version aux questionnements qui nous taraudent face aux événements historiques. "Comment cela a-t-il bien pu arriver ?", nous demandons-nous. "Personne n'a donc rien vu venir ?". Eric Vuillard s'empare de ces questions et nous entraîne en immersion aux côtés de ceux qui y étaient. le jour de la prise de la Bastille, sujet de 14 juillet nous était ainsi restitué en une fresque colorée, tout en mouvement, s'attachant à remettre en lumière les héros méconnus issus du peuple. La tonalité qui sert à l'observation de la montée en puissance d'Hiltler et des nazis est tout autre. Grave, froide, sans pitié et sans aucune indulgence. Elle n'en est que plus efficace.

En bon enquêteur, Eric Vuillard commence par traquer le nerf de la guerre : l'argent. Cette fameuse réunion du 20 février 1933, un jour comme un autre pour la plupart des gens, le jour où le parti nazi est venu lever des fonds, comme nous dirions aujourd'hui auprès de la vingtaine d'entreprises les plus riches d'Allemagne. Des moyens contre la promesse d'un état fort, stable et solide (donc un climat propice aux affaires), des moyens qui bien sûr vont permettre l'ascension telle que nous la connaissons à présent. Pas un ne bronche. Tous mettent la main au portefeuille.

"Ils s'appellent BASF, Bayer, Agfa, Opel, IG Farben, Siemens, Allianz, Telefunken. Sous ces noms, nous les connaissons. Nous les connaissons même très bien. Ils sont là, parmi nous, entre nous. Ils sont nos voitures, nos machines à laver, nos produits d'entretien, nos radio-réveils, l'assurance de notre maison, la pile de notre montre. Ils sont là, partout, sous forme de choses. Notre quotidien est le leur. Ils nous soignent, nous vêtent, nous éclairent, nous transportent sur les routes du monde, nous bercent. Et les vingt-quatre bonshommes présents au palais du Président du Reischstag, ce 20 février, ne sont rien d'autre que leurs mandataires, le clergé de la grande industrie ; ce sont les prêtres de Ptah. Et ils se tiennent là impassibles, comme vingt-quatre machines à calculer aux portes de l'Enfer."

Le nerf de la guerre, donc. Qui arme en cachette et participe aux préparatifs d'un plan prévu de longue date et dont le coup d'envoi est donné en 1938... spectacle incroyable auquel nous convie Eric Vuillard de la pression mise par Hitler sur le gouvernement autrichien, au nez et à la barbe des états européens, France et Angleterre en tête, trop occupés à regarder ailleurs. L'auteur croque sans aucune indulgence les diplomates et gouvernants de l'époque qui gobent sans honte la poudre qu'Hitler leur jette aux yeux. Fantastique scène du dîner réunissant à Londres l'ambassadeur du Reich, Ribentrop, Chamberlain, Churchill et Cadogan alors même que les troupes d'Hitler entrent en Autriche...

Dans sa quête de restitution, l'auteur s'interroge de la même façon que le faisait le héros écrivain de Laurent Binet dans HHhH sur la notion de vérité historique. "Car ce sont des films que l'on regarde, ce sont des films d'information ou de propagande qui nous présentent cette histoire, ce sont eux qui ont fabriqué notre connaissance intime ; et ce que nous pensons est soumis à ce fond de toile homogène. Nous ne pourrons jamais savoir. On ne sait plus qui parle. Les films de ce temps sont devenus nos souvenirs par un sortilège effarant."

La réflexion est permanente et fait écho à celle que nous devons nous imposer face aux images qui nous inondent chaque jour. Analyser les actes plutôt que les paroles. Démonter les images trop léchées. S'attacher à détecter le bluff. En décortiquant la mécanique machiavélique de l'époque, Eric Vuillard apporte un éclairage salvateur à qui veut bien se donner la peine de regarder. Ceux qui ont financés les crimes d'hier existent toujours et, pire, de nouveaux sont prêts à prendre le relais (voir l'actualité récente) au nom du Dieu profit.

Va-t-on enfin apprendre de l'Histoire ? Cette contribution magistrale plaide avec style et efficacité pour cela... et on la voudrait entre toutes les mains.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
Commenter  J’apprécie          653



Ont apprécié cette critique (50)voir plus




{* *}