Puis, soudain, la caméra effectua un zoom vertigineux sur un détail de ce paysage en fusion - pour mettre en évidence la minuscule silhouette qui courait au bord du cratère en agitant ses petits bras vers l'appareil qui la filmait.
Le maedre exprimait son éternelle joie de vivre.
A peine Yeff avait-il parcouru une centaine de mètres qu'il se sentit suivi. Il jeta un coup d'oeil machinal en arrière, et découvrit une créature inconnue qui marchait trois pas derrière lui, les bras croisés sur son ventre rond.
Lorsqu'il se retourna à nouveau, deux rues plus loin, l'animal trottinait toujours dans son sillage. S'agissait-il bien d'un animal, d'ailleurs ? Ou bien d'un être semi-intelligent, analogue aux vertébrés d'Océan ou à certains suidés et simiens terriens ? La relative maîtrise du langage à laquelle le maedre semblait parvenir plaidait en faveur de cette hypothèse, mais cela n'expliquait pas pourquoi il lui avait emboîté le pas. Yeff, bien incapable de se figurer ce qui pouvait se passer dans le cerveau de son suiveur, estima qu'il convenait de traiter celui-ci comme n'importe quel familier ou ptilapin. Il tendit une main pour caresser la grosse tête couverte d'un court poil doré...
De petits doigts boudinés se refermèrent sur son poignet et, sortant une épaisse langue rose, le maedre entreprit de lui lécher la paume, fermant à demi ses yeux bleus en signe de satisfaction.
Il tenta de se dégager, sans parvenir à triompher de l'étreinte implacable de ces mains si semblables à celles d'un petit enfant. Tandis que la langue d'un rose éclatant continuait obstinément à lui chatouiller la ligne de vie, il releva la tête et découvrit qu'un couple d'âge moyen s'était arrêté pour observer la scène, un sourire narquois sur les lèvres.
L'homme lui lança quelques mots qu'il ne comprit pas, puis reprit, en francintern cette fois :
- Collez-lui une baffe.
- Une baffe ?
- Oui, c'est ça, frappez-le ! Y a pas d'aut' moyen de leur faire lâcher prise...
Tous sont des hommes. Des êtres fragiles, d'une infinie complexité, à qui la nature à donné un néocortex mais pas le mode d'emploi de ce nouvelle accessoire.
Alors ils tâtonnent. Ils bafouillent. Ils commettent des erreurs.
Mais ils cherchent, et c'est cela qui compte.
Ils cherchent, tout comme moi.
Bientôt je trouverai.
Que ferons-nous lorsque cela se produira ? Notre espèce possède-t-elle encore assez de sauvagerie en elle pour mener - et gagner - une guerre contre un peuple pour qui le combat constitue une véritable religion ? Ou bien la Famille se verra-t-elle contrainte d'aller, la tête basse, demander de l'aide à sa branche pourrie, ce mouton noir nommé Eden ?
Entre deux maux il faut choisir le moindre.
Elle sourit en songeant que, quelques années plus tôt, le seul contact des doigts d'un homme l'aurait paralysée d'effroi.
"Tu ne toucheras pas ton prochain sans raison.
L'amour n'en est-il pas une ?"
Même au bout de dix ans et en dépit - ou à cause - de l'utilisation de plusieurs langages, leur considérable différence culturelle continuait à brouiller par moments la communication entre eux.
Le plus difficile, songea-t-elle, c'est d'arriver à se comprendre. D'envoyer les bon signaux. De décoder correctement ceux que l'on reçoit.