Ce roman épistolaire représente la base littéraire de la révolte intellectuelle face à la ségrégation d'Amérique.
Dès le début du roman, nous nous heurtons à une vérité brute. Celie, qui écrira à Dieu pendant des années, se retrouve enceinte de son propre père après avoir été violée par celui-ci.
Plus tard, elle sera mariée de force à un homme blanc qu'elle appellera toujours M. ___ , qui ne l'aimera jamais, qui la battra et qui lui arrachera tout ce dont elle a au monde : ses enfants et sa soeur, Nettie. Cette dernière sera envoyée en Afrique où elle sera missionnaire avec d'autres noirs américains.
The Color Purple est un roman qui ne se soucie pas d'euphémisme, de romance et de poésie. D'ailleurs, l'écriture en elle-même est très simpliste, voir enfantine. Celie n'est pas éduquée comme sa soeur. Elle est noire, maigre, laide et ne sait pas cuisiner. Voilà la carte d'identité de cette jeune femme. Ces informations circuleront alors de bouches en bouches au fil de ses rencontres et elle ne sera vouée qu'au destin de subir, d'enfanter, d'élever, et de se taire.
Ignorant son propre désir (ou bien son absence de désir) et l'amour même, elle se couchera le soir avec un homme qui ne lui procurera jamais de plaisir mais seulement des enfants qui devront grandir, se marier ou disparaître.
Un beau jour, une femme rentre dans sa vie, la célèbre Shug Avery. Cette artiste noire fût et sera toujours l'unique passion de M. ___ . Affaiblie par une maladie, Shug décide de s'installer quelques temps chez M. ___ afin de reprendre des forces. C'est à ce moment là qu'elle rencontre pour la première Celie. « C'est laid ! », lui dira t-elle.
Voir des personnages s'adresser à d'autres sans même utiliser un pronom personnel est très choquant. Au départ, je me suis demandée si j'avais bien compris le sens de la phrase.
Alice Walker sait très bien comment nous exposer des décennies d'horreur et d'injustice en une seule ligne.
Pourtant, c'est cette même femme qui permettra à Celie de survivre puis de renaître. Grâce à elle, la jeune femme se verra enfin entant qu'être libre et osera même explorer les profondeurs complexes du désir féminin.
Shug se révélera d'une force incroyable et fera voler en éclat la prison de Celie, renversant l'autorité de M. ___ , tout en redonnant un espoir nouveau, insensée et libérateur.
Cette figure féministe bouleversera l'ordre du roman et laissera son empreinte sur tous les coeurs.
Une autre puissante figure féminine du roman se battra (au sens propre) contre l'oppression des hommes. Sofia.
J'ai énormément apprécié ce personnage. Véritable boulet de canon, elle fracassera (et je pèse mes mots) tout ce qui fera obstacle à sa soif de liberté.
Ce roman respire le féminisme. Au fil des pages, les femmes se soulèvent, se mettent à marcher vers un idéal commun : le bonheur.
Pourtant, elles ont toutes leur propre conception du bonheur. L'une désire être aimée des hommes, l'autre désire ne plus en avoir affaire et retrouver sa soeur.
Pour ceux qui comme moi souhaiterait découvrir ce texte en version originale, je tiens à dire quelques mots sur l'américain écrit par
Alice Walker.
Tout d'abord, comme je l'ai dit plus haut, le style est très simple, très immature. Au début, les phrases sont très courtes et se passent parfois d'une construction littéraire classique. de plus, l'américain n'est absolument pas de l'anglais. Souvent considéré comme un anglais simplifié, l'américain s'écrit comme on le parle, c'est à dire en mâchant les mots, en les amputant de quelques syllabes ou carrément en changeant l'orthographe. du coup, vous vous retrouverez confronté à des phrases étranges et des mots inconnus. La petite astuce que j'ai déjà donné dans mon bilan de demie-lecture est simple:quand un mot vous semble inexistant de la langue anglaise, c'est qu'il est. Essayez donc de le prononcer à haute voix et vous le reconnaîtrez !
Ne vous effrayez pas, je vous assure qu'après quelques lignes, vous vous habituerez au style. Au final, cette lecture m'a semblé très simple au point de vue linguistique !
Sans prendre de gants,
Alice Walker enchaîne les sujets tabous. Sexe, violence, blasphème, tous ces sujets à l'époque interdits sont abordés avec un excellent naturel par les personnages du livre.
Le détail qui m'a énormément marqué est quand Celie, écoutant Harpo se plaindre du caractère indomptable de sa femme, Sofia, lui conseille de la battre. Celie, battue depuis sa jeunesse, violée par son père puis par son mari, conseille à un homme noir de battre une autre femme noire.
Ceux qui n'auront jamais étudié de psychologie s'offusqueront de ce conseil prônant la violence mais les autres comprendront sûrement pourquoi et ne blâmera pas Celie, bien au contraire.
Celle-ci a toujours vécue sous les coups des hommes, cela est devenu tout naturel pour elle. Elle ne peut tout simplement pas admettre une autre façon de faire pour que le couple trouve un terrain d'entente.
Cette résignation est révoltante.
La religion est également un thème omniprésent du roman. Tout d'abord parce-que Celie adresse ses lettres à Dieu et qu'à l'époque, pratiquement tout le monde allez à l'église.
Pourtant, au fil des épreuves, Celie commence à voir plus claire, à se détacher de l'autorité masculine suprême.
Le moment où le genre masculin de Dieu est abordé par Shug et par Celie est un de mes passages favoris.
« The God I been praying and writing to is a man. And act just like all the other mens I know. »
Cette conception de la religion et de la figure divine est tout simplement géniale. Au fil de cette magnifique discussion (que je vous laisse découvrir par vos propres moyens), Shug et Celie découvre une vision moderne et tellement plus libératrice de Dieu.
Pour la question de la sexualité, c'est encore une fois Shug qui servira d'électrochoc pour Celie. Devenues très complices, elles redécouvriront le plaisir sans tabous. le rapport qu'entretient Shug avec le corps féminin est à mon goût une oeuvre d'art littéraire. Ce personnage transpire de sensualité et pourtant, son corps ne rentre pas dans les normes de la beauté populaire. Elle n'est pas mince, elle n'est pas blonde, elle n'est pas jeune ni blanche. Shug explose les limites de la beauté féminine et à chaque fois qu'elle apparaît dans le roman, on se sent bien, on se sent femme. Ce sentiment est très puissant et je salue le talent d'
Alice Walker.
Enfin, je tiens à parler d'un autre passage qui m'a époustouflé. Discutant avec M. ___ , Celie aborde le sujet de l'Afrique. Elle développe alors un raisonnement troublant de part sa finesse et par sa vérité.
A l'origine, les africains vivaient nus. Inconnus de la société occidentale, ils se contentaient des ressources naturelles et de leur relation étroite avec la vie à l'état brut. Un jour, une poignée de missionnaires blancs leurs enseignèrent la religion monothéiste, la connaissance de la technologie, des médias et enfin, les obligèrent de porter des vêtements. Confrontés à leur nudité pour la première fois face à ses missionnaires vêtus, ils se mirent à porter chemises et pantalons.
« So these Olinka people heard about Adam and Eve from the white missionaries and they heard about how the serpent tricked Eve and how God chased them out of the garden of Eden. »
« Guess who they say the snake is ?
- Us, no doubt, say M. ___ . »
Celie compare donc les africains à Adam et Eve et les missionnaires blancs au serpent. En ayant goûté le fruit de la connaissance (ou de la religion chrétienne?), les tribus africaines ont à tout jamais perdu leur liberté et leurs liens étroits avec la Nature. Ils se retrouvent alors esclaves des moeurs occidentales qui ne voient pas d'Hommes en eux et d'un Dieu unique dont ils ignoraient tout il y a quelques décennies.
Pour conclure, j'ai évidemment adoré ce roman. Je trouve que toutes les femmes devraient l'avoir lu, le lire et le relire pour se souvenir que notre liberté n'a pas toujours été donnée à celles qui nous ont précédées.
La liberté est quelque chose d'acquis de nos jours mais qui est si facilement arrachée.
Le pire, c'est que bien souvent, c'est seulement après qu'elle nous soit retirée que nous commençons à nous révolter. Quand le gouvernement essaye de passer une loi qui ampute notre précieuse liberté, nous manifestons. Pourtant, il ne faut pas attendre des lois absurdes pour se battre. Aujourd'hui encore, des femmes sont sous l'autorité d'hommes malfaisants. Battues, violées, vendues ou mariées à huit ans, ces filles et ces femmes ne jouissent pas de la liberté dans laquelle nous vivons. C'est en pensant à elles qu'il faut sans cesse agir, de n'importe quelle façon qu'il soit. En particulier de nos jours où le racisme sévit encore malgré l'avancée vertigineuse du progrès, où les jeunes confondent de plus en plus peur et haine et affichent sans honte sur leurs réseaux sociaux des figures extrémistes prônant la discrimination raciale, où les amalgames animent les conversations stériles entre racistes qui se cachent derrière leur « je suis pas raciste mais... »
Lire un texte aussi engagé est un bon début pour se battre contre ça.
Plus que jamais, je m'oppose contre toutes ces conceptions moyenâgeuses de l'autre, de l'étranger.
L'Humain est un être unique quelque soit sa couleur de peau, quelque soit ses rites et ses croyances. Il n'est pas divisé en plusieurs races.
Si seulement on nous enseignait à l'école l'Histoire de l'Homme et non pas
L Histoire des guerres et des colonies. Si seulement on apprenait aux gens que les différences de vie enrichissent l'esprit. Si seulement on apprenait aux jeunes d'aujourd'hui, vivant sous la peur et sous la consommation qu'il vaut mieux vivre ensemble que divisé. Si seulement on faisait autant de progrès dans la vision qu'ont les gens sur le reste du Monde que sur les téléphones. Si seulement l'être humain pourrait se libérer du tyran nommé «Système» et arrêterait de courir après la richesse matérielle pour mieux se focaliser sur le bonheur réel. Si seulement tout cela, on vivrait enfin en unité totale et paisible et The Color Purple ferait parti d'un passé révolu.