Quand Gorm était arrivé dans la rue, Rut avait disparu. Tout en faisant le tour du pâté de maisons, il revoyait son regard posé sur lui. Deux yeux sombres, désespérés. L'avait-elle seulement vu? / Non, pensait-il. Elle était trop occupée à fuir. Ce n'était pas la septième rencontre, telle qu'il l'avait espérée
Il avait pensé à elle durant tout l'été. Il revoyait nettement ses yeux. Quelques fois, il les voyait même avant de se réveiller complètement le matin. Il avait envie de mettre un mot sur ce sentiment. Rien que pour lui. Il l'aurait écrit, s'il avait trouvé le terme approprié. Mais il fallait un mot neuf. Que personne n'avait pensé ou prononcé auparavant.
Il avait sorti un stylo de sa veste, retourné le papier et écrit : « Est-ce la même chose pour tout le monde ? La nostalgie de l’être qui nous manque ? De cette personne unique. Celle qui peut te comprendre sans s’en servir ensuite contre toi. Celle qui n’exige pas de te posséder, et envers qui tu n’as ni besoin de mentir, ni de prendre tes distances. Existe-t-elle ? Ou bien est-ce seulement un mythe dont tu as paré quelqu’un rencontré à une réunion religieuse ? »
Ce n'est pas le temps qui passe qui me transforme, mais ce que j'en fais, avait elle pensé.
Le retable est une de mes œuvres les plus religieuses. Une vierge condamnée à enfanter, parce que l'humanité avait besoin de crucifier quelqu'un.
C'est comme ça qu'on devient un homme. En prenant des décisions. Il y a trop de gens qui n'y arrivent pas.
Je crois que tu es l'être humain qui m'est destiné, Rut. Pas pour te posséder, mais pour que mes pensées te portent à travers tout. Le chagrin aussi. M'en donnes-tu le droit ?
La vie est comme un monstre à plusieurs têtes et plusieurs gueules. On a à peine le temps de se retourner qu'on est bouffé.
La jalousie est infantile, sombre et nécessaire. Au pire elle a un effet invalidant et au mieux un effet purifiant.