Il avait peut-être tord. Ou alors c'était moi. Mais cette distance - cette impression chronique d'être un extraterrestre parmi ses semblables -, n'est pas complètement négative.
Elle s'est avérée très pratique quand les véritables extraterrestres ont débarqué.
J'ai trouvé l'opposé de la vision aveugle de Szpindel : une maladie où ce ne sont pas les voyants qui se croient aveugles, mais les aveugles qui affirment voir.
Il nous arrive de nous former une représentation d'une chose sans la voir pour autant, même si elle se trouve juste devant nous. Des gratte-ciel se matérialisent soudain, notre interlocuteur est remplacé par un autre durant une distraction passagère... Sans qu'on s'en aperçoive. Aucune magie là-dedans. Ni même de passe-passe. On appelait ce phénomène, bien connu depuis plus d'un siècle, cécité d'inattention : la tendance des yeux à tout simplement ne pas remarquer ce que l'expérience évolutionnaire a qualifié d' improbable.
On oubliait facilement l'IA quantique au coeur de notre vaisseau. Elle restait discrètement fondue dans le décor, nous nourrissant, nous transportant, imprégnant notre existence comme un dieu discret, mais tout comme Dieu, elle ne prenait jamais nos appels.
Leur mariage se désagrégeait avec le déterminisme exponentiel d'un isotope radioactif, mais il continuait à aller la voir...
Nous avons laissé le vide entre nous parler quelques instants.
« Garde bien à l’esprit que les souvenirs ne sont pas des archives historiques. Plutôt… des improvisations, en fait. Une grande partie de ce que tu associes à un événement donné pourrait être inexacte dans les faits, même si tu t’en rappelles très bien. Le cerveau a pour curieuse habitude de construire des composés. D’insérer des détails à la suite des faits. Ça ne veut pas dire pour autant que tes souvenirs ne sont pas vrais, d’accord ? Ils sont un reflet honnête de la manière dont tu voyais le monde, et chacun d’eux a façonné la manière dont tu le vois. Mais ce ne sont pas des photographies. Plutôt des peintures impressionnistes. (...)"
Elles ne sont pas réelles, ces voix qui chuchotent juste à l’extérieur de votre casque, ces créatures entraperçues qui tremblotent aux limites de votre champ de vision. Ce sont des tours que vous joue votre esprit, les mêmes trucages et illusions neurologiques qui, depuis des siècles, persuadent les gens d’être hantés par des fantômes, enlevés par des extraterrestres, chassés par…
… des vampires…
… et vous vous demandez si Sarasti est vraiment resté sur le Thésée ou s’il est là depuis le début, à vous attendre…
« Un autre pic, a prévenu Bates au moment où teslas et sieverts enflaient sur mon affichage. Accrochez-vous. »