L'hôtel Vendôme, rue de la Paix à Paris, dans le premier arrondissement, est destiné aux êtres délicats, peu nombreux, qui trouvent le Ritz un peu vulgaire. Avec son vaste foyer circulaire mais extrêmement sombre, si totalement insonorisé par ses tapis de haute laine et ses étoffes brochées que toute la révolution de mai 68 s'est déroulée devant l'hôtel sans qu'un seul écho n'en parvienne au delà de la deuxième rangée de plantes vertes, ...
... il avait ce regard vide né de trop d'espoir gâché dans de trop nombreux bistrots au cours de trop nombreux jeudis soirs. Sans parler des mardis.
Des rais de soleil, que les arcs boutants et les piliers de la Tour Eiffel transformaient en un Mondrian, mouchetaient les touristes épuisés qui déambulaient entre ses jambes écartées.
Sur un étroit canal bifurquant d’un canal moins étroit bifurquant d’un canal assez large bifurquant du Grand Canal à Venise, une gondole glissait sur l’eau, conduite par un gondolier qui chantait. Il ne chantait pas particulièrement bien, mais au moins il connaissait toutes les paroles. En italien.
Allaient-ils encore louper l’avenue Wagram ?
– Jacques ! hurla vainement le conducteur du deuxième camion, en proie à la rage et à la frustration. Jacques, Jacques, mais qu’est-ce que tu fabriques ?
Et le conducteur commençait à accélérer, bien décidé à se placer sur la gauche de Jacques et lui exprimer sa désapprobation au moyen de gestes obscènes, lorsque soudain, juste devant lui, une fille vacillant sur une bicyclette percuta un vieillard tremblotant assis sur un fauteuil roulant motorisé. Le conducteur, horrifié, pila les freins à air, si bien que le camion, toutes les roues bloquées, exécuta lourdement en avant deux bruyants sauts de lapin avant de s’arrêter brusquement.
Sans prêter attention aux hurlements de klaxon et aux grincements de tôle contre la tôle derrière lui, et sans se rendre compte que la Renault blanche s’arrêtait à droite de son camion juste le temps de cracher son passager – Angelo –, le conducteur ouvrit sa portière et se pencha à l’extérieur pour voir si la fille et le vieux étaient encore suffisamment vivants pour qu’il puisse les injurier. Ils l’étaient ; en fait, tous deux semblaient avoir trouvé dans leur mésaventure un sursaut d’agilité, puisque le fauteuil roulant filait maintenant comme une voiture de course aux 24 heures du Mans et que la fille sur sa bicyclette avait brusquement appris tous les secrets de l’équilibre et de la vitesse, à en juger par la façon dont elle pédalait allègrement.
Eustace était en train de perdre la raison. Tout avait été organisé, l’opération était en train de se dérouler, mais tout se passait-il comme prévu ?
Le train bateau de Londres à Paris fait étape à Douvres, où les wagons de marchandises, les voitures de voyageurs et les wagons-lits sont placés sur un ferry, un gigantesque ferry, massif et trapu, avec un pont inférieur sillonné de rails de chemin de fer comme une gare de triage. Les locomotives et le wagon-restaurant anglais (heureusement) sont décrochés et le ferry prend lourdement la mer en direction de Calais, où des locomotives (pas tellement fameuses) et un wagon-restaurant français (excellent) seront ajoutés pour le trajet jusqu’à Paris.
L’hôtel Vendôme, rue de la Paix à Paris, dans le premier arrondissement, est destiné aux êtres délicats, peu nombreux, qui trouvent le Ritz un peu vulgaire.
Le Bistrot Chagrin était comble ce soir-là, bien qu’on fût un jeudi. Situé à Montmartre, tout près de Pigalle et fréquenté par les ouvriers du quartier, il attirait une clientèle de durs à cuire, laconiques, fatalistes, qui se fichait pas mal qu’on fût jeudi ou pas. Ça changeait quoi, hein ?