La plupart des hommes naissent moutons et certains finissent porcs.
La contrée change. Les molles collines font peu à peu place à un paysage beaucoup plus tourmenté. Notre convoi sinue désormais entre des massifs parfois abrupts, qui nous ralentissent cruellement. Jamais je n’ai été aussi pressé de rejoindre une ville.
De temps à autre, nous mettons toute la voilure pour affronter une pente plus raide. Je voudrais que nous volions sur le bitume, et au diable les risques. Mon ami est en train de mourir. Plus rien d’autre ne compte. Je hais les montées.
Du menton, Toni pointe vers le poste de la milice. Les quatre types sont agenouillés, les mains jointes.
Grand bien leur fasse. Comment peut-on encore croire qu'une entité supérieure veille sur nous ? Rien dans ce monde n'est beau. Seuls les sentiments témoignent encore parfois d'une bribe d'humanité. Le temps des excuses est révolu. Il faut assumer. L'homme est seul et unique responsable de sa propre merde.
Étonnant que la seule vue de ces guignols m'inspire cette haine. On dirait bien que je commence à virer hors-murs, moi !
Pas question de nous embarquer encore dans une nouvelle croisade. Si on les pousse trop, les miracles ont une fâcheuse tendance à se montrer capricieux...
La maréchale Canicule a décidé d'écraser les troupes de la reine des pluies. Le ciel est d'un blanc de fournaise.
Au passage, les hommes en bure escamotent quantité d'objets ou de nourriture. Le zèle des soldats est proprement répugnant. Comment peut-on tomber dans une telle veulerie ?
La réponse me frappe alors que nous abordons la rue de Khalil : la religion. Cette immonde perversion de la nature humaine. Cette exploitation des sentiments et des peurs. Cette industrie de l'hypocrisie.
Oui, nous sommes un peuple de la route. Condamnés à transhumer éternellement dans un monde où les pâturages eux-mêmes se déplacent. Troupeau maigre et frénétique, broutant le goudron. Errants qui s'ignorent. Des damnés de l'asphalte.
Tentez le diable et il viendra.
Mais les spectres n'obéissent pas aux humains, c'est connu.
Mais le diable a encore des tours dans sa manche.