Citations sur Les Enfants Jéromine (94)
Certes, c'étaient les rois qui écrivaient l'histoire, mais ici coulait la sève dans laquelle ils plongeaient leurs plumes. Et ils n'avaient pas toujours su se montrer reconnaissants. L'humble paysan ne portait pas de couronne, mais il était beau de le suivre des yeux, alors qu'il empoignait les gerbes pour les charger sur sa voiture. Le soir il s'enivrerait et se querellerait avec d'autres, mais es querelles valaient mieux (...) que celles des grands. Il ne lisait pas de livres et n'avait pas de perroquet, mais il était plus près des patriarches que ses maîtres. Il n'avait pas encore mis de fenêtres entre lui et le soleil.
Et il aimait ces villages perdus et les hommes qui les habitaient. Il voyait dans les villages la cellule primitive de toute histoire et aussi des Etats.
Souvent il emmenait dans ces excursions l'un de ses élèves dont il pensait qu'il serait possible d'éveiller l'esprit et, plus tard, de l'enthousiasmer pour une vie qui émergerait comme une toile de l'obscurité du village. Tout ce qu'il pouvait mettre de côté sur son maigre traitement, il le plaçait dans une caisse de crédit au chef-lieu du district, à intérêts composés, et si secrètement qu'Elisa elle-même l'ignorait. Il appelait cela sa "fondation Nobel", destinée dans sa pensée, à ouvrir les voies du monde de l'esprit au premier enfant du village qui, de par la volonté du sort, aurait reçu en partage les dons de l'intelligence et du coeur qu'il y jugeait nécessaires.
Stilling y avait vu l'avertissement que le mal se transmet en héritage plus aisément que le bien et que jusqu'en un coeur pur restent activent les forces obscures que Dieu a dispersées parmi les hommes depuis la naissance de Cain.
C'était comme un reflet des jours de leur jeunesse, où ils avaient rêvé de devenir des guides et des prophètes de leur village, un puits de charité ou un flambeau de l'action, et d'arracher tous les pauvres, tous les humiliés de la misère, de leur existence pour les élever sur les clairs sommets du savoir, de l'amour, de la joie.
Cependant la plupart d'entre eux étaient remplis de la sagesse des pauvres et des solitaires, renfermés sans aigreur dans leur monde. La paisible lumière qui les accompagnait dans leurs années de retraite était un bienfait pour les grands et pour les petits. c'était une lumière bien faible et bien tremblotante et néanmoins elle apportait un rayon apaisant à beaucoup de ceux qui traversaient une heure sombre et s'accompagnait d'un acte de cordiale assistance en leur pressant besoin. Quant au pasteur de la paroisse lointaine, il leur semblait uniquement venir d'une vague contre étrangère et hostile pour déverser sur eux sa parole et disparaître aussitôt.
Ils avaient été marqués, dès leur enfance, pour une destinée obscure et ils achevaient leur chemin dans l'obscurité.
Et lorsque les ouragans de neige s'abattent de l'Est sur les forêt, ils recouvrent tout, rue et fossés, pignons et clôtures. On croirait alors que les villages sont morts, sous le rougeoiement colossal du couchant, et seul l'étroit sentier qui conduit aux coupes de la forêt révèle que des pas humains sont passés par là.
Aucune chronique ne nous a encore rapporté l'histoire du village de Sowirog : la chronique ne parle pas des villages perdus. Ils s'étendent au bord des lacs et des marais de cette lointaine contrée de l'Est, avec leurs toits gris et leurs fenêtres voilées, avec d'antiques puits à potence et quelques poiriers sauvages aux talus pierreux des champs. La grande forêt les enserre et un ciel où pendent de lourds nuages forme une voûte au-dessus d'eux. Une route sablonneuse les traverse, entre des jardins aux clôtures délabrées. elle sort de vastes forêts et s'y perd ensuite de nouveau. Le facteur y chemine, et plus souvent encore des le gendarme. et parfois on voit passer par ses ornières profondes un cortège de noces, avec ses couleurs vives et son tapage.
Mais le plus souvent la route est plongée dans le silence et les jeunes bouleaux projettent leurs ombres ténues sur les fossés encombrées de joncs. Elle n'a rien conservé de tout ce qui se passa sur elle autrefois, allant vers la vie ou vers la mort. elle n'a ni croix ni pierres du souvenir. c'est une route anonyme.
De toutes les chemines la fume s'élevait et il lui semblait humer un relent de la pauvreté des foyers où se tenaient en ce moment les femmes harasses. C'était un pauvre village, avec une seule rue poussiérieuse se perdant dans la forêt et la contre déserte.