« Humanisme chrétien », « chef d'oeuvre de la littérature allemande »… c'était m'élancer bien loin de mes bases que d'entreprendre, sans certitude d'aboutir, la lecture de ce très épais roman vers lequel un article de presse particulièrement inspiré m'avait par hasard attirée.
Les écueils n'ont d'ailleurs pas manqué, à commencer par l'ampleur de la tâche (1125 pages), le rythme de l'action aussi lent que l'avancée de la charrue dans le sillon, le conservatisme assez borné latent derrière ces innombrables mentions de la Bible et de Dieu – face auxquelles j'ai toujours du mal à ne pas me crisper. Mais il faut replacer dans son contexte cette oeuvre écrite en 1946 alors que les blessures de la guerre n'ont pas fini de saigner et que les aboiements nazis résonnent encore aux oreilles de l'auteur, opposant au nazisme ce qui lui valut d'être interné à Buchenwald en 1938,et pour qui le silence imposé par ces années d'oppression semble avoir été l'occasion de recomposer en profondeur la hiérarchie de ses valeurs.
Un terrain lourd donc que ces « Enfants Jéromine », mais insidieusement la musicalité particulière du texte, à la fois austère et gorgée de vie, lancinante et déclamatoire, nous entraine dans ses eaux lourdes et nous attache aux destinées du village de Sowirog, terre de labeur agricole où l'on ne se perd pas en pensées ni à l'écoute du bruit du monde. Les habitants, indifférents aux soubresauts de l'Histoire qui agitent l'Allemagne de la première moitié du XXème siècle, accueillent avec fatalisme les guerres, payent leur tribut à l'Etat mais n'écoutent que le pasteur, l'instituteur et le seigneur issu d'une vieille noblesse qui veille avec bienveillance sur le village. Seul Jons, le plus jeune des enfants Jéromine, sortira de leurs rangs pour apprendre à ramener la justice dans le monde mais reviendra finalement au village pour « cultiver ses trente arpents », à hauteur d'homme.
Humanisme chrétien, certes, mais humanisme d'abord dans ce long texte à l'écriture très poétique, qui replace, comme nos grands pères, les petites gens et leurs préoccupations ancestrales au-delà des idéologies, la forêt au-dessus des villes, et l'église au milieu du village.
Au final, sans adhérer à la vision passéiste et définitivement noire du propos, je ne peux que témoigner d'un grand plaisir trouvé à la lecture d'un récit monumental, parsemé de passages d'une beauté sublime à la portée universelle.
Commenter  J’apprécie         564