Il sent alors que pour avancer, il doit se dépouiller de ses regrets, et de ses illusions.
Le désir pourtant était devenu si fort, c'était comme le dégel, la fonte de neiges. Elle fondait, elle sentait qu'elle était faite pour ça, fondre. Le désir ne la quittait plus, il était comme ce chant qui s'arrêtait plus, il déferlait, la traversait comme un fleuve en crue.
Ce bonheur, était-ce de ne pas vraiment y croire, ou le trouver trop beau, il lui semblait qu'il ne pourrait durer. Mais bizarrement, elle ne l'en savourait que plus. Et plus que jamais ressentait l'éphémère de tout ce qui voyait le jour. De cet homme qu'elle aimait, et qui, comme elle, comme tout vivant, aurait si peu de temps avant de mourir, ou même de cet amour, pourtant si fort, qui serait si bref, même s'il durait toute sa vie. C'était poignant, le dérisoire d'un amour éternel, pour un mortel.
Elle sentait que l'amour est voué à être chanté, que chanter c'est sans doute sa plus juste expression, et son accomplissement. Qu'un amour vrai, ça ne peut finir qu'en chant. Que tout ce qui, dans un amour, ne peut se ressoudre en chant, importe peu.
Pour rien au monde il ne jouerait encore en public. D'ailleurs ce qu'il cherchait aujourd'hui, c'était une musique intérieure, ça ne changerait même pas, presqu'au contraire, que ce piano soit peu désaccordé, ça l'obligeait à entendre, derrière le son, la structure, le squelette de la musique.
Elle aurait voulu l'enregistrer, quand il racontait, pour le réécouter chez elle, comme Schubert, et ne plus entendre que cette voix, sur le point de se briser, pouvoir s'abandonner à l'émotion qui lui serrer la gorge, quand elle l'entendait, laisser couler ses larmes, oh pas de tristesse, des larmes nouvelles - l'écouter sans être engloutie par le bleu de ce regard, sans être encombrée par la beauté de ce visage, parce que vraiment, le regarder et l'écouter en même temps, c'était trop. Que n'aurait-elle donné pour se retrouver seule, enfin, avec sa voix.