Citations sur Le journal du diable (46)
L'homosexualité de Röhm et de certains de ses hommes avait toujours révolté Rosenberg. « Il s'entourait de débauchés et de pique-assiettes, écrivit-il dans son journal. Ses officiers avaient tous des mignons. Ils s'éloignaient de plus en plus du mouvement et leur comportement était un affront au peuple. » Pour Rosenberg, les hommes de Röhm n'étaient rien d'autre qu'une bande arrogante de « gigolos berlinois en chemise brune. ».
L'exposition d'art dégénéré, comme l'appelèrent les nazis, ouvrit ses portes en juillet 1937 : une collection de plus de six-cents œuvres modernes d'artistes comme Pablo Picasso, Henri Matisse, Vassily Kandinsky, accrochés médiocrement, mal éclairées et accompagnées de légendes criardes dénonçant leur dépravation.
Une fois les nazis au pouvoir, Rosenberg pensa qu'il était temps de monter son dossier contre l'art moderne. Mais à l'automne 1933, Goebbels instaura une chambre culturelle du Reich afin de consolider son contrôle sur les beaux-arts, le théâtre, la musique, la radio, le cinéma, la presse et la littérature. Dans la bataille qui les opposait, Goebbels avait clairement pris le dessus.
Tandis que la gauche et la droite s'affrontaient pour le contrôle de l'Allemagne, dans les rues comme au Reichstag, durant toutes les années 1920, un modernisme sous toutes les formes fleurit dans les galeries et les salles de spectacles. Des artistes expressionnistes, comme Otto Dix, capturèrent dans leur peinture le chaos du champ de bataille et la dérive urbaine. Les dadaïstes remirent en cause toute pensée rationnelle. Des architectes modernes, tel Erich Mendelsohn, dessinèrent des bâtiments aux lignes fluides et futuristes. Des films d'horreur d'avant-garde, Marlène Dietrich dans l'Ange Bleu, les gangsters de Bertold Brecht, le jazz, les cabarets aux seins nus, une diva dans son plus simple appareil dans une baignoire, Josephine Baker se trémoussant sans autre vêtement qu'une ceinture de bananes, à la nuit tombée, les Berlinois pouvaient voir tout ça et bien plus encore. L'autoritarisme conservateur du Kaiser avait engendré une énergie sexuelle sans limite. Les nigth-club et les productions théâtrales balayèrent le terrain pour une sous-culture gay en pleine expansion. Le Berlin de l'entre-deux guerre était tumultueux, éclectique et fièrement de gauche.
Naturellement, les nazis détestaient cet état de fait.
Lors des soirées mondaines, Goebbels (…) s'amusait à tenir quatre disocurs différents – la monarchie, le communisme, la démocratie et le nazisme – qui laissaient chacun de ses interlocuteurs absolument convaincu qu'il était un fervent supporter de l'un ou l'autre. « Goebbels se révéla un génie de la démagogie, affirmait Lechner. (...) ».
Chacun savait qu'il pouvait être renvoyé – voire pire – s'il n'avait plus les grâces du Führer. La méfiance était partout. « Il n'y a pas un responsable du parti nazi qui ne serait ravi de couper la gorge de n'importe quel autre fonctionnaire, si cela assurait sa promotion personnelle, écrivait Bella Fromm, la journaliste diplomatique. Ça plaît à Hitler. Ça les force à rester sur le qui-vive (...) ».
Tout bien considéré, les juifs allemands trouvaient plus de raisons de rester que de s'en aller, écrivit l'historien John Dippel. « Il y avait trop à surmonter – l'enracinement, l'habitude, l'incrédulité, la suffisance, la naïveté, les faux espoirs, voire l'opportunisme. » Aussi étonnant que ce soit, certaines entreprises juives prospérèrent pendant les premières années du nazisme.
« Même le plus clairvoyant des juifs n'aurait pu prévoir que le continent entier allait tomber sous la coupe des nazis », écrivit Kempner des années plus tard.
Georges Messersmith, un diplomate américain en poste à Berlin, se demandait comment la moindre personne d'origine juive pouvait rester vivre au sein d'une nation qui s'évertuait avec un tel acharnement à lui rendre la vie aussi misérable que possible. « Il faut vivre en Allemagne et faire vraiment partie de son quotidien, écrivit-il dans un rapport au secrétaire d'État de 1933, pour se rendre compte des cruautés psychiques qu'on y inflige tous les jours et qui sont, par de nombreux aspects, bien plus sévères que la barbarie physique qui a marqué les premiers jours de la révolution ».
Finalement, Hitler n'eut pas besoin de violer la Constitution pour conserver le pouvoir. On dépouilla les bulletins le 5 mars, et les nazis obtinrent suffisamment de sièges pour garder le contrôle du pays.
Göring exigea rapidement l'état d'urgence, afin de mettre l'appareil de sécurité au travail, et supprimer sans la moindre pitié toute organisation politique qui s'opposerait aux nazis.