La cathédrale de Saint-Isaac, à Pétersbourg, est une des plus belles églises du monde; elle rivalise de proportions gigantesques avec Saint-Pierre de Rome, Saint-Paul de Londres et Sainte-Geneviève de Paris. Chose étrange, cette masse prodigieuse repose sur la charpente d'une poudrière profonde, comme si la puissance temporelle avait voulu démontrer, par un symbole menaçant, que la puissance spirituelle n'avait le dessus qu'en apparence, et qu'il lui était toujours loisible de la faire sauter comme une mine.
La Russie vient d'entrer, par l'émancipation des serfs, dans une des phases les plus sérieuses de son ère politique. Elle sent le besoin de reconstruire un nouvel édifice social avec les matériaux amassés par les siècles ; elle se recueille dans le silence, elle s'étudie elle-même, après avoir étudié les autres États de l'Europe, et elle va se mettre au niveau des idées modernes et du progrès. Rien ne lui manque pour accomplir cette solennelle transformation : jeunesse, force, énergie, bonne volonté, voilà quatre mots magiques dont elle peut orner sa devise.