Prenons la rose. Nous l'avons vue si souvent s'épanouir dans un vase, l'associant à la beauté dans toute sa splendeur, que nous en avons oublié la manière dont elle se tient en terre, immobile, impassible, un après-midi entier. Son port révèle une parfaite dignité et une grande maîtrise de soi. La carnation de ses pétales est exemplaire. Soudain, en voilà peut-être un qui se détache posément ; et toutes les fleurs, les pourpres voluptueuses, les crèmes à la chair de cire dans laquelle la cuiller a laissé un serpentin de jus cerise, les glaïeuls, les dahlias, les lis ecclésiastiques et sacerdotaux, celles aux faux cols guindés dans des tons d'abricot et d'ambre, toutes inclinent délicatement la tête au gré de la brise – toutes, à l'exception du massif tournesol, qui salue fièrement le soleil à midi et peut-être à minuit rebute la lune. Telles sont les fleurs ; et ce sont elles, immobiles et pleines d'assurance entre toutes, que les êtres humains ont élues pour compagnes, elles qui symbolisent leurs passions, décorent leurs fêtes et reposent (comme si elles avaient quelque expérience du chagrin) sur l'oreiller des morts. Il est admirable de relever que les poètes tirent la religion de la nature, que les gens vivent à la campagne pour que les plantes leur enseignent la vertu. C'est dans leur indifférence qu'elles nous apportent un réconfort.
Chacun recèle en lui une forêt vierge, une étendue de neige où nul oiseau n’a laissé son empreinte.
Ignorant de notre âme, comment connaîtrions-nous celle d’autrui?
Lorsque nous sommes malades, les mots semblent doués d'une qualité mystique.
La maladie oblige aussitôt à s'aliter ou, enfoncé dans de moelleux oreillers sur un fauteuil, à décoller les pieds du sol, ne serait-ce que de 3 centimètres, pour les poser sur un autre siège, et alors nous cessons d'appartenir à l'armée des gens d'aplomb : nous devenons des déserteurs. Eux marchent au combat. Quant à nous, nous flottons avec les bouts de bois au gré du courant - pêle-mêle avec les feuilles mortes sur la pelouse, irresponsable, indifférent et en mesure, peut-être pour la première fois depuis des années, de regarder autour de nous, de regarder en l'air, de regarder, par exemple, le ciel.
Il y a, avoue-le (car la maladie est le confessionnal suprême) une franchise toute enfantine dans la maladie : des choses sont dites, des vérités échappent étourdiment que la prudente respectabilité de la santé dissimule.
Il devrait exister, nous disons-nous, des romans consacrés à la grippe et des épopées à la typhoïde, des odes à la pneumonie et des poèmes lyriques à la rage de dents. Or il n'en est rien.
La maladie nous rend peu enclins aux longues campagnes que la prose
exige. Nous ne pouvons commander à toutes nos facultés et maintenir notre raison, notre jugement et notre mémoire au garde-à-vous pendant qu’un chapitre après l’autre défile, et que, l’un à peine agencé, il nous faut guetter l’arrivée du suivant, jusqu’à ce que la structure globale – voûtes, tours et remparts – se dresse solidement sur ses fondations.
Il est admirable de relever que les poètes tirent la religion de la nature, que les gens vivent à la campagne pour que les plantes leur enseignent la vertu. C’est dans leur indifférence qu’elles nous apportent un réconfort.
Prenons la rose. Nous l’avons vue si souvent s’épanouir dans un vase, l’associant à la beauté dans toute sa splendeur, que nous en avons oublié la manière dont elle se tient en terre, immobile, impassible, un après-midi entier.