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Citations sur Flush : une biographie (25)

La terre, tantôt dure, tantôt molle, chaude en un lieu, froide en un autre, piquait, picotait, chatouillait les coussins moelleux de ses pattes. Et quelle variété de parfums entrelacés en combinaisons subtiles venait agacer et faire trembler ses narines ! Odeurs fortes de terre ; odeurs sucrées des fleurs ; odeurs innommées des feuilles et des ronces ; odeurs aigres des routes traversées ; odeurs âcres à l'orée des champs de fèves. Soudain arrivait sous le vent une odeur plus aiguë, plus forte, plus déchirante qu'aucune autre — une odeur qui lui labourait le cerveau, soulevant un millier d'instincts, mettant en branle un million de souvenirs — une odeur de lièvre, une odeur de renard. Et voici Flush filant, en un éclair, comme un poisson rapide vers une eau toujours plus profonde. Il oubliait sa maîtresse ; il oubliait toute l'espèce humaine ; il entendait des hommes à la peau sombre crier : « Span ! Span ! » Des fouets claquaient à ses oreilles. Il galopait ; il se ruait. Soudain, il s'arrêtait tout interdit ; il écoutait en lui l'incantation décroître puis se perdre ; alors, très lentement, en agitant la queue d'un air penaud, il revenait au petit trot à travers champs vers Miss Mitford ; debout elle appelait : « Flush, Flush, Flush ! » en brandissant son parapluie. Une fois au moins l'appel fut plus impérieux encore. Une fanfare souleva en Flush des instincts plus profonds, battit le rappel d'émotions plus sauvages et plus fortes qui, transcendant soudain tout souvenir, confondirent pour lui, anéantirent herbe, arbres, lièvre, lapin, renard en un seul hurlement d'extase féroce. La torche de l'amour fulgura dans ses yeux ; le cor de Vénus chasseresse éclata contre son oreille. Encore presque chiot, Flush était déjà père.

Chapitre I : Three Mile Cross.
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Un ingénieux entrepreneur avait jeté bas un vieil hôtel pour élever à sa place une maison de rapport en torchis. La pluie s'égouttait à travers le toit, et le vent soufflait à travers les murs. Mr. Beames vit un enfant plongeant son broc dans l'eau verdâtre d'un canal. Buvait-on cette eau ? demanda-t-il. On en buvait ; on y lavait aussi, car le propriétaire ne permettait de la renouveler que deux fois par semaine. De telles rencontres étaient d'autant plus surprenantes qu'on pouvait les faire dans les quartiers les plus calmes et les plus brillants de Londres — « les paroisses les plus aristocratiques avaient leur part ». Derrière la chambre de Miss Barrett, par exemple, était un des pires " slums " londoniens. À cette respectabilité venait se mêler cette horreur. Mais, naturellement, il existait certains quartiers depuis longtemps abandonnés aux pauvres et où nul autre qu'eux ne pénétrait jamais. Dans Whitechapel ou dans l'espace triangulaire qui forme le fond de Tottenham Court Road, la pauvreté, le vice et la misère avaient nourri, semé et propagé leur espèce pendant des siècles et sans qu'on eût tenté la moindre intervention. Un bloc de masures croulantes dans St. Giles était « presque un établissement pénitentiaire, une sorte de métropole des pauvres ». Assez justement, lorsque les pauvres s'aggloméraient ainsi, la masse de leurs logements était appelée " nids-à-freux ", car les êtres humains y grouillaient les uns sur les autres comme les freux grouillent en masses sombres à la cime des arbres. Seulement, les maisons, ici, n'étaient pas des arbres — à peine encore des maisons. C'étaient des compartiments de briques entrecoupés de venelles, avec un ruisseau pour égout. Dans la journée, les venelles grouillaient d'êtres humains à demi nus ; et le soir, il s'y déversait encore tout le flot des voleurs, mendiants, prostituées, qui, tout le jour, avaient exercé leurs talents dans West End. La police n'y pouvait rien. Et que pouvait un simple promeneur ? Rien que traverser cet enfer en hâte et peut-être laisser entendre ensuite, comme le fit Mr. Beames, à travers des citations, avec maint euphémisme et mainte échappatoire, que tout n'était pas au mieux dans la ville. Le choléra viendrait un jour, et sans doute l'avertissement du choléra serait-il de nature moins évasives.

Chapitre IV : Whitechapel
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Mais vendre Flush était inconcevable. Il appartenait à cette catégorie si précieuse de choses qui n'ont rien à voir avec l'argent. N'appartenait-il pas à cette catégorie de choses plus précieuses encore qui, parce qu'elles incarnent ce qui relève de l'esprit, ce qui n'a pas de prix, deviennent un symbole idéal du désintéressement de l'amitié ; qui peuvent être offertes dans ce même esprit à une amie - si on a la chance d'en avoir une - , qui est plus une fille qu'une amie ; à une amie qui gît coupée du monde durant les longs mois d'été, dans une chambre sombre de Wimpole Street, à une amie qui n'est autre que la plus importante poétesse anglaise, la géniale, la malheureuse, la bien-aimée Elizabeth Barrett ? Telles étaient les pensées qui venaient de plus en plus souvent à l'esprit de Miss Mitford, lorsqu'elle regardait Flush faire des acrobaties et gambader au soleil ; lorsqu'elle était assise au côté de Miss Barrett dans sa chambre londonienne aux fenêtres obscurcies par le lierre. Oui, Flush était digne de Miss Barret ; Miss Barrett était digne de Flush. Le sacrifice était grand ; mais le sacrifice devait être accompli.
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Flush courait les rues de Florence pour savourer l'ivresse des odeurs. Le fil des odeurs le menait ; des grands boulevards aux venelles, par les avenues et les places, il suivait son nez, d'odeur en odeur, de la raboteuse à la fluide, de la funèbre à la dorée. Il furetait partout, franchissait tous les seuils : ici l'on battait de l'orge ou l'on cuisait le pain ; là des femmes assises peignaient leurs chevelures ; des cages d'oiseaux étaient empilées sur les dalles ; du vin se répandait en flaques rouge sombre ; ailleurs traînait l'odeur du cuir, des harnais, des aulx suspendus ; derrière une porte, des hommes assis buvaient, crachaient, jetaient les dés — Flush entrait, ressortait, toujours trottant, le nez filant à ras de terre pour humer les essences, ou dressé haut dans l'air où maint arôme palpitait. S'endormait-il dans une chaude tache de soleil ? Quel fumet le soleil peut faire exhaler à la pierre ! Se glissait-il le long d'un tunnel d'ombre ? De quelle acidité l'ombre imprégnait les dalles ! Flush dévorait des grappes entières de raisins mûrs, surtout à cause de leur odeur pourpre ; il mâchonnait puis recrachait les reliefs de chèvre et de macaronis qu'une ménagère italienne avait jetés de son balcon — chèvre et macaronis sont des odeurs rauques, des odeurs cramoisies. Il suivait la douceur défaillante des bouffées d'encens dans l'entrelacs violet des sombres cathédrales ; et, reniflant, tentait de laper au passage l'or répandu par un vitrail. […] La pierre usée des grises draperies, les doigts, les orteils des statues reçurent bien souvent la caresse de sa langue, le frôlement de ses narines trémulantes. Sur les coussinets infiniment sensibles de ses pattes s'imprimèrent d'orgueilleuses inscriptions latines. Bref, il connut Florence comme nul être humain ne l'a jamais connue.

Chapitre V : L'Italie.
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Où Mrs. Browning voyait, Flush sentait ; il flairait quand elle eût écrit.
Ici le biographe se doit d'arrêter son récit. Deux ou trois mille mots se montrent impuissants à traduire ce que voient nos yeux : ainsi Mrs. Browning dut s'avouer battue par les Apennins. « Je ne puis vous en donner la moindre idée », admit-elle. Or nous n'avons guère que deux mots et demi pour désigner ce que sent notre nez. L'odorat humain est pratiquement inexistant. Les plus grands poètes du monde n'ont connu que le parfum des roses et la puanteur des bouses. Entre ces deux extrêmes, un infini de gradations demeure informulé. C'est pourtant dans ce monde des odeurs que Flush vivait le plus ordinairement. L'amour pour lui était surtout odeur ; odeur la couleur et la forme ; odeur la musique et l'architecture, le droit, la politique, les sciences — et la religion même. Traduire sa plus simple expérience — côtelette ou biscuit quotidiens — dépasse nos possibilités. Mr. Swinburne lui-même n'aurait pu dire ce que signifiait pour Flush l'odeur de Wimpole Street par un chaud après-midi de juin. Quant à décrire l'odeur d'une épagneule, mêlée à celle des torches, des lauriers, de l'encens, des drapeaux, des bougies de cire et d'une guirlande de roses écrasée par un talon de satin qui a longtemps macéré dans le camphre — Shakespeare seul, peut-être, s'interrompant d'écrire Antoine et Cléopâtre… Mais Shakespeare ne s'est pas interrompu. Confessant donc notre impuissance, nous noterons seulement que l'Italie apparut à Flush au cours de ces années qui furent les plus riches, les plus libres et les plus heureuses de sa vie, surtout comme une succession d'odeurs.

Chapitre V : L'Italie.
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Des demeures splendides s'élevaient dans Westminster, mais il suffisait d'en faire le tour pour voir, derrière elles, des sortes d'écuries en ruine où des troupeaux d'êtres humains vivaient au-dessus des troupeaux de vaches à raison de « sept pieds carrés pour deux personnes ».

Chapitre IV : Whitechapel.
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"Flush n'avait jamais clairement perçu les principes de la société humaine. "Il va hurler, gémir toute la nuit, j'en suis sûre", écrivait Miss Barrett à Mr Browning dans l'après-midi du 1er septembre. Mais tandis que Miss Barrett écrivait ainsi à Mr Browning, Flush traversait la plus terrible épreuve de son existence. Son esprit dérouté erait dans les ténèbres."
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Il est naturel qu'un chien toujours couché avec la tête sur un lexique grec en vienne à détester d'aboyer ou de mordre; qu'il finisse par préférer le silence du chat à l'exubérance de ses congénères et la sympathie humaine à toute autre.
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".......Flush connut avant la fin de l'été que l'égalité n'existe pas chez les chiens; il y a des chiens qui sont des altesses, d'autres qui sont des roturiers. Desquels était-il donc, lui, Flush ? Sitôt rentré à la maison, il examina trés soigneusement sa propre image dans la glace. Dieu soit loué ! Il faisait partie des chiens bien nés, des chiens de qualité ! Il possédait une tête lisse, des yeux saillants mais non proéminents, des pattes frangées de longs poils, bref, il était l'égal du plus fin cocker de Wimpole Street. Aussi donna-t-il son approbation à l'écuelle pourpre où il buvait - tels sont les privilèges d'un haut rang; puis, docilement, il courba le front et tendit son cou à la chaîne- car tel est le paiement expiatoire. A cette époque, Miss Barrett l'observa qui se regardait dans la glace, mais elle se méprit sur ses pensées. Voilà un philosophe, songea-t-elle, qui médite sur la distinction entre apparence et réalité. Non, c'était un aristocrate considérant ses avantages."
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"Flush, cependant, fut bientôt averti des différences plus profondes qui séparent Pise de Londres. Les chiens surtout étaient différents. [...] Ici, à Pïse, quoique les chiens fussent en abondance, cette hiérarchie avait disparu : tous les chiens - était-ce possible ? - oui, tous les chiens étaient bâtards."
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