Citations sur Comment je suis devenu moi-même (37)
En de nombreuses occasions, j’ai choisi un exercice explicite ; après avoir demandé au patient de tracer une ligne sur une feuille de papier, j’ajoutais : « Admettons qu’une des extrémités représente votre naissance et l’autre votre mort. Maintenant, marquez d’un signe sur la ligne l’endroit où vous vous trouvez actuellement et méditez sur ce tracé. » Il est rare que cet exercice échoue à prendre sérieusement conscience de la nature éphémère de la vie.
-(...) Goenka enseigne qu'il ne faut loger que dans le présent. Rappels du passé et désirs d'avenir ne créent que de l'agitation.
Ces dernières paroles me sont souvent revenues à l'esprit. Elles contiennent tant de vérité, mais à quel prix. Je n'ai ni la capacité ni l'envie de payer un tel prix.
J'insistais sur le fait que Freud n'était pas juste le créateur de la psychanalyse, qui représente aujourd'hui moins de 1% de toutes les thérapies disponibles, mais qu'il a inventé le champ même de la psychothérapie : avant lui, le domaine n'existait pas. Si je critique beaucoup l'analyse orthodoxe freudienne telle qu'elle se pratique aujourd'hui, je respecte toujours autant Freud pour sa créativité et son courage.
En ce moment même, tandis que j'écris ces lignes, je meurs d'impatience de retrouver ce soir Joseph Roth et sa Marche de Radetzky. Je dois me raisonner, lutter contre le besoin de le dévorer toutes affaires cessantes . Lorsque l'histoire, comme c'est le cas ici, va bien au-delà du récit d'une vie, qu'il s'agit en réalité d'explorer le désir, la peur, de chercher la signification de l'existence humaine, je suis captivé, enchanté par la double signification de ce texte _ le drame d' un être particulier et parallèlement, le drame de la disparition d'une culture, celle de l'Empire austro-hongrois avant la Première guerre mondiale.
Cette nuit là, j'ai fait un rêve aussi puissant qu'inoubliable.
Je marche avec mes parents et ma sœur dans un centre commercial et nous décidons de monter à l'étage. Je me retrouve dans un ascenseur, mais seul - la famille a disparu. La montée est très longue, et quand je sors de l'ascenseur je me trouve sur une plage tropicale. Mais j'ai beau regarder partout, je ne vois pas ma famille nulle part. L'endroit est merveilleux - les plages des tropiques m'ont toujours semblé paradisiaques-, pourtant la terreur m'envahit.
Ensuite, j'enfile une chemise de nuit qui exhibe, sur le devant, le visage souriant, adorable de Smoky l'ours.
Quand je retourne au cimetière et arpente les allées où sont alignées les tombes de mes parents et de toute la communauté du petit shtetl de Cielz, j'ai littéralement mal au cœur, frappé par le rappel de la faille qui ne s'est jamais comblé entre mes parents et moi, et de tout ce qui est demeuré non dit.
J'essaie d'exhumer des bribes de mon enfance, mais quand je les compare avec celles de ma soeur, de mes cousins et amis, je suis toujours stupéfié par la différence de nos souvenirs communs. Dans mon travail quotidien, alors que je m'efforce d'aider mes patients à reconstruire leur jeunesse, je suis de plus en plus convaincu de la fragilité et de la nature mouvante de la réalité. Les Mémoires, y compris les miens, sont beaucoup plus fictifs que nous aimons le croire. (Page 67)
Il y a tout l'univers, des milliards d'étoiles qui meurent et qui naissent, des catastrophes naturelles chaque minute sur Terre, et mes parents qui clament que Dieu n'a rien de mieux à faire que de vérifier qu'il n'y a pas une molécule de jambon sur un couteau de snack ?
Le roman, c’est de l’histoire qui aurait pu avoir lieu.
Peu de psychiatres continuent de pratiquer à mon âge, aussi je m'interroge souvent : "Pourquoi tiens-tu encore à recevoir des patients ?" Ce n'est pas pour des raisons économiques ; j'ai suffisamment d'argent pour pouvoir vivre confortablement. C'est que j'aime trop mon travail pour le lâcher avant d'y être obligé. Je me sens privilégié d'être admis dans l'intimité de la vie de tant de gens ; et depuis tant de décennies que cela se produit, je veux croire que je maîtrise l'art d'y parvenir.