Citations sur Tes ombres sur les talons (37)
Chaque fois Melissa se jure de ne pas revenir, se dit qu’elle n’a rien à faire avec ces gens que l’aigreur seule unit, et chaque fois Marc ajoute un élément à sa panoplie de séduction. Jamais un homme ne l’a vue comme il prétend la voir : passionnante et infiniment désirable. La peau de la jeune fille vibre littéralement sous ce regard dévorant.
Tout me dégoûte mais je fouine, je suis la bave à la trace, je me laisse porter par la connerie. Et quand j’ai envie de me marrer, je lâche mes petites bombes sur le frérot et ses fans. J’ai assez de faux comptes pour pourrir un fil à moi tout seul. Une armée. Je te le shoote sous dix pseudos mais attention, avec ardeur et sincérité. Je te conchie, mon jumeau, et c’est pas la mère morte qui pourra te protéger. Finis les privilèges, le favoritisme depuis qu’on est nés, tout pour le chouchou à sa mémerde et rien pour le vilain pas sage.
Elle ne renonce pas, pourtant, prête à se nourrir, on le sent, de la moindre miette d’attention, à être animal fidèle plutôt que rien. Au moins, elle pourra se vanter d’avoir livré au maître une recrue à son goût. Car tel est le rôle de la jeune femme sans autre attrait : rabattre au nom de la cause, laquelle est un fatras empruntant à toutes les doctrines pour justifier rejet et haine.
C’est à la fois séduisant, d’un total exotisme pour Melissa qui n’a jamais pénétré dans une telle demeure, et perturbant. Elle a le sentiment qu’aucun de ses gestes, aucun mot prononcé par elle ne pourra convenir au lieu. Elle voudrait et pourrait encore fuir mais leur hôte la tient en joue de son regard très ouvertement conquérant. Melissa sent le grappin fiché dans ses entrailles.
Une jeune femme, toutefois, l’intrigue. Rien ne la distingue des autres, pas plus sa maigreur exhibée d’anorexique que sa réserve semblant traduire une méfiance ou un mépris pour ceux qui partagent son labeur dépourvu de sens.
Ses vidéos intimistes et décalées, où s’incarnent et se fertilisent des contradictions : origines populaires et acculturées, esprit vif et boulimique, nourri de tout ce qui passe à sa portée, goût pour l’effort mais rejet viscéral de la compétition, sentiment de malaise en milieu urbain ultracodifié et regard sophistiqué, analytique et sensible, nourrissent son blog très suivi. Elle y est, sous le pseudo d’« Artémis », une petite reine des mots et des images, décide, ose et entreprend. Est, là, dans cette virtualité, le produit brillant, en constante ébullition, de son parcours exemplaire.
Melissa était fascinée par la capacité de certains à asséner de prétendues vérités avec un aplomb tel que personne n’osait les questionner. Ou alors à part soi, ce qui n’entamait pas leur règne. Elle, au contraire, était si soucieuse de précision et d’honnêteté que sa parole était hésitante, ses actes empêchés par d’interminables délibérations intérieures. Or l’époque, on le sait, ne tolère pas ces atermoiements.
Ce n’était ni méchant ni systématiquement déplacé mais c’était horripilant et, en l’occurrence, la comparaison ne tenait pas. Kiki avait effectivement décroché ce stage parce qu’il était le fils surprotégé d’un magnat de la presse. Pas idiot et même assez fûté mais immature et velléitaire.
Ses parents considéraient les déboires professionnels de Melissa comme des caprices de petite fille gâtée, des délicatesses de princesse au petit pois. Tu fais pas beaucoup d’efforts, hein. C’était bien la peine de te payer toutes ces études ! Il paraît qu’ils embauchent, à Carrefour. On demandera quand on ira.
Elle en voulait à son père de lui avoir involontairement transmis cette fragilité. Mais cela lui donnait aussi envie de le prendre dans ses bras comme pour s’étreindre elle-même avec lui et leur murmurer à tous deux des paroles de réconfort et de consolation. Elle tournait en rond.