Je ne savais pas moi-même où aller avec lui : ce que je cherchais, c'était uniquement à l'arracher à cette froide averse, à cette indifférence insensée et suicidaire qui le faisait rester là dans le plus profond désespoir.
Mes enfants n’avaient plus besoin de moi ; je craignais de troubler leur jeunesse par mon humeur sombre et ma mélancolie.
Vous avez parfaitement raison ; la vérité à demi ne vaut rien, il la faut toujours entière.
Le temps pressait : il pouvait être près de sept heures, il restait tout aux plus vingt minutes jusqu’au départ du train. Je me consolait en songeant que ce n’était plus à une séparation et à un adieu que j’allais, puisque j’étais résolue à l’accompagner dans son voyage tant qu’il le permettrait.
Quelque chose m’avait fait un mal mortel, mais je ne savais pas (ou bien je refusais de savoir) de quelle manière l’attitude à l’instant si attendrissante et pourtant si respectueuse de mon protégé m’avait blessée si douloureusement.
Aujourd’hui je le sais clairement : ce qui alors me fit tant de mal, c’était la déception que ce jeune homme fût parti si docilement au lieu d’essayer de me tirer violemment à lui, et qu’il ne sentît pas que j’étais une femme.
Car... maintenant je ne m’abuse plus..., si cet homme m’avait alors saisie, s’il m’avait demandé de le suivre, je serais allée avec lui jusqu’au bout du monde ; j’aurais déshonoré mon nom et celui de mes enfants. Je n’aurais pas demandé ni où j’allais, ni pour combien de temps.
J’aurais sacrifié à cet homme mon argent, mon nom, ma fortune, mon honneur... Je serais allée mendier, et probablement il n’y a pas de bassesse au monde à laquelle il ne m’eût amenée à consentir.
J’aurais rejeté tout ce que dans la société on nomme pudeur et réserve ; si seulement il s’était avancé vers moi, en disant une parole ou en faisant un seul pas, s’il avait tenté de me prendre, à cette seconde j’étais perdue et liée à lui pour toujours.
Mais... je vous l’ai déjà dit... cet être singulier ne jeta plus un regard sur moi, sur la femme que j’étais... Et combien je brûlais de m’abandonner, de m’abandonner toute.
En regardant sur le côté…, là, je vis un homme inconnu dormant près de moi dans le large lit … un homme demi-nu et que je ne connaissais pas… […].
Je retiens mon souffle comme si j’avais pu par là mettre fin à ma vie et surtout à ma conscience, à cette conscience claire, d’une clarté épouvantable, qui percevait tout et qui, cependant, ne comprenait rien.
Vieillir n'est, au fond, pas autre chose que n'avoir plus peur de son passé.
Vieillir n’est, au fond, pas autre chose que n’avoir plus peur de son passé.
Pas un sculpteur, pas un poète, ni Michel-Ange ni Dante ne m'auront jamais fait ressentir le geste même du dernier désespoir, l'ultime misère terrestre d'une façon aussi déchirante que cet être vivant qui se laissait arroser par l'élément, déjà trop indifférent, trop fatigué pour se protéger d'un seul mouvement
Toujours est-il qu'elle était là comme une jeune fille, pudiquement troublée par le souvenir et rendu honteuse par son propre aveu. Ému malgré moi, j'éprouvais un vif désir de lui témoigner par une parole ma déférence. Mais mon gosier se serra. Je m'inclinai profondément et baisai avec respect sa main fanée, qui tremblait un peu comme un feuillage d'automne.
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