Citations sur Érasme : Grandeur et décadence d'une idée (88)
Par sa célébrité littéraire, le nom d'Erasme acquiert au commencement du XVIè siècle une puissance incomparable : si l'homme était d'esprit hardi, il pourrait en user et entreprendre des réformes importantes au point de vue historique. Mais agir n'est pas son fait. Erasme peut éclairer et non créer, préparer et non réaliser. Ce n'est pas le nom d'Erasme que la Reforme inscrira sur son fronton, un autre récoltera ce qu'il semé.
C'est l'attitude mystérieuse d'un être dont l'activité vitale est purement intérieure ; avec une attention qui ne faiblit point ( on croirait que ses yeux bleus éclairent ce qu'il écrit ), son regard ne quitte pas les mots que sa main effilée, presque féminine, trace sur la blancheur du papier, obéissant à un ordre qui lui vient d'en haut.
NDL : portrait d'Erasme par Holbein, celui où il écrit.
-" Nous devons malheureusement reconnaître qu'un idéal ne visant que le bien-être général ne satisfait jamais complètement les masses; chez les natures moyennes, la haine barbare exige aussi sa part à côté de l'amour, et l'égoïsme individuel réclame de chaque idée un avantage personnel immédiat.
Le concret, le "palpable" est toujours plus accessible à la masse que l'abstrait; c'est pourquoi, en politique, tout mot d'ordre exprimant un antagonisme et dirigé contre une classe, une race, une religion, trouvera toujours plus d'écho que la proclamation d'un idéal, qui, lui, est moins commode à saisir".
Ce jour là, le 5 novembre 1520, le sort de la Réforme allemande, le destin du monde reposait probablement tout entier entre les mains frêles du craintif Erasme.
NDL : le prince Frédéric de Saxe, protecteur de Luther, demande ce jour-là à Erasme si le moine fanatique a tort ou raison.
On était en 1509. Erasme traversait les Alpes, il revenait d'Italie. Il y avait vu l'Eglise en pleine décadence, le pape Jules II, véritable condottiere, entouré d'hommes de guerre, des évêques se complaisant dans le luxe et la débauche au lieu de vivre dans une pauvreté apostolique.
( p. 64 )
[A partir de là, Erasme écrit son chef d'oeuvre ] "Eloge de la Folie" qui fut sous son masque de carnaval un des ouvrages les plus dangereux de son temps.
( p.70)
Le pape, ses évêques, les maîtres du monde : Henry VIII, Charles Quint, et François I er, Ferdinand d'Autriche, le duc de Bourgogne d'une part, les chefs de la Réforme allemande d'autre part, tous sont devant Erasme, comme autrefois les héros d'Homère devant la tente du bouillant Achille, le pressant, le suppliant de sortir de sa neutralité et d'entrer en lice. La scène est grandiose ; rarement dans l'histoire les puissants de ce monde se sont donné autant de peine pour obtenir un mot d'un intellectuel, rarement la puissance de l'esprit a affirmé une suprématie aussi éclatante sur le pouvoir temporel.
Car c'était là la conviction profonde, la sublime et tragique erreur de cet humanisme précoce : Erasme et les siens croyaient la civilisation capable d'améliorer les hommes et ils espéraient que la vulgarisation de l'étude, des belles-lettres, de la science, de la culture développeraient les facultés morales de l'individu en même temps que celles des peuples
L'histoire est injuste envers les vaincus. Elle n'aime pas beaucoup les individus mesurés, les médiateurs, les conciliateurs, les hommes aux sentiments humanitaires. Ses favoris, ce sont les passionnés, les exaltés, les farouches aventuriers de l'esprit et de l'action.
Je vous ordonne au nom de Dieu d'être les ennemis d'Erasme et de fuir ses livres, proclame Luther. J'écrirai contre lui, dût-il en mourir sur-le-champ ; je tuerai ce Satan avec ma plume, comme j'ai tué Thomas Münzer ( 1 ), dont le sang retombe sur moi.
NDL : la révolte des paysans de Münzer à Frankenhausen : En fait, la bataille tourne au massacre : les deux armées princières composées de mercenaires professionnels lourdement armés, disposant de canons, commandées l'une par les ducs de Brunswick et de Saxe, l'autre par Philippe de Hesse, « le Magnanime », perdent six mercenaires pour massacrer environ 5 000 paysans.
Seule la sphère supérieure, celle des artistes et des créateurs, l'attirait fraternellement; il estimait que la tâche de tout intellectuel était de l'élargir, de l'étendre, afin qu'à l'image du soleil la science éclairât un jour l'humanité tout entière.