De fiel et de miel

Son fils la déroutait. Elle discernait bien les défauts de l’enfant, mais ne savait comment les corriger. Il lui semblait que l’éducation d’une fille eût été plus facile. Ah ! si elle avait eu une petite fille douce et tendre comme elle l’avait été elle-même ! Mais pour tenir son démon de fils, il fallait une poigne d’homme. Sa pensée vola vers Michel et, une fois de plus, elle mesura le besoin qu’elle avait de lui.

Mon père, il a été mon premier, mon seul amour, si tu veux le savoir. A mes yeux, il était une manière de divinité. Je l’admirais, l’aimais sans restriction. J’en étais fière. Avec lui, j’étais douce, gentille, obéissante. Son affection répondait à la mienne, du moins je le croyais. Et puis, le jour de mes huit ans, il a quitté la maison sans même me préparer à son départ. Je n’ai eu droit ni à un mot d’explication, ni même à un simple baiser d’adieu. Je revois encore le gâteau d’anniversaire avec huit bougies allumées, un gâteau que je ne voulais pas couper avant que papa soit là… C’est de ce jour que je n’ai jamais plus accordé ma confiance à un homme.

Ce que je veux, c’est te faire connaître une vérité que tu ignores. Je déteste mon père pour tout le mal qu’il nous a fait. Tu peux comprendre ça, non ? S’il ne nous avait pas abandonnées, rien de ce qui s’est passé ici ne serait arrivé. J’aurais été meilleure que je ne le suis, ignorante de cette haine que l’on m’a inculquée et qui me fait douter de tous les hommes, de toi comme des autres. Si je savais qu’un remariage pût faire le malheur de mon père, je le laisserais convoler avec plaisir. Mais ce n’est pas le cas. La femme qu’il aime est une créature très douce, belle, intelligente et bonne, paraît-il…

Elle s’étonnait que Michel la trouvât parfaitement belle. Certes, le nez droit et court, la bouche délicatement ciselée et toujours prête à sourire, n’étaient pas désagréables à regarder, et puis il y avait ces yeux brillants dont l’iris passait, suivant les circonstances, par toutes les nuances du bleu et du gris, et ces épais cheveux, d’un blond doré presque roux, qu’elle retenait dans un chignon en laissant deux vagues souples sur les tempes.
« Disons que ma frimousse est gracieuse, pensa Hélène, mais sans plus. Seul un regard aimant peut la trouver sans défauts. »

Le fait d’aimer en secret un homme qu’elle savait marié et qui, en outre, ne lui accordait aucune attention, lui apparaissait comme une espèce de tare morale, un mal qui ne pouvait être guéri qu’en tranchant dans le vif. Mais elle avait compté sans le conformisme de son père.