Citations sur Nuit obscure - Cantique spirituel et autres poèmes (16)
je suis entré où ne savais
et je suis resté ne sachant
toute science dépassant
moi je n'ai pas su où j'entrais
mais lorsqu'en cet endroit me vis
sans savoir où je me trouvais
de grandes choses j'ai compris
point ne dirai ce qu'ai senti
car je suis resté ne sachant
toute science dépassant
De piété de quiétude
c'était là science parfaite
au profond d'une solitude
une voie entendue directe
c'était là chose si secrète
que suis resté balbutiant
toute science dépassant
J'étais en tel ravissement
si absorbé si transporté
qu'est demeuré mon sentiment
de tout sentir dépossédé
ainsi que mon esprit doué
d'un comprendre non comprenant
toute science dépassant
Qui en ce lieu parvient vraiment
de soi-même a perdu le sens
ce qu'il savait auparavant
tout cela lui semble ignorance
et tant augmente sa science
qu'il en demeure ne sachant
toute science dépassant
D'autant plus haut il est monté
et d'autant moins il a compris
quelle ténébreuse nuée
venait illuminer la nuit
celui qui savoir en a pris
i1 reste toujours ne sachant
toute science dépassant
Il est ce non savoir sachant
chargé d'un si puissant pouvoir
que les sages argumentant
n'en tireront jamais victoire
car il ne peut tout leur savoir
ne point comprendre en comprenant
toute science dépassant
Et une si haute excellence
est en ce suprême savoir
que ni faculté ni science
de le défier n’a pouvoir
qui de soi tirera victoire
avec un non savoir sachant
il ira toujours dépassant
et si vous désirez l’ouïr
cette souveraine science
consiste en un très haut sentir
de la toute divine essence
c’est une œuvre de sa clémence
faire rester ne comprenant
toute science dépassant
O flamme d'amour, vive flamme
Qui me blesse si tendrement
Au plus profond centre de l'âme
Tu n'es plus amère à présent,
Achève donc, si tu le veux,
Romps enfin le tissu de cet assaut si doux.
Trahissons mais trahissons le moins possible!
Où donc t'es-tu caché
Aimé et toute gémissante m'a laissée.
Comme le cerf tu as fui
Après m'avoir blessée;
J'ai crié après toi... et tu étais parti.
Pâtres, vous qui allez
Par les pâturages, au sommet du côteau
Si d'aventure voyez
Celui que plus j'adore
dîtes-lui que je souffre, que j'ai mal, que je meurs.
(J'ai essayé de respecter le rythme et d'adapter la métrique de la lira en 3/6 et 2/12)
Dans mon sein parsemé de fleurs
Qu’entier soigneuse je lui garde,
Il s’endort, et pour ses faveurs ;
D’un chaste accueil je le mignarde
Lors que l’éventail ondoyant
D’un cèdre le va festoyant.
Ô âmes spirituelles ! ne vous plaignez pas de sentir vos puissances livrées à l’angoisse des ténèbres, vos affections stériles et paralysées, vos facultés impuissantes à tout exercice de la vie intérieure. En vous enlevant votre manière imparfaite d’agir, le Seigneur vous délivre ainsi de vous-même. Malgré le bon emploi que vous eussiez fait d’ailleurs de vos facultés, leur impureté et leur ignorance ne vous eussent jamais permis d’obtenir un résultat aussi parfait et une sécurité aussi entière. Dieu vous prend par la main, et se fait lui-même votre conducteur au milieu des ténèbres. Il vous guide comme un aveugle par un chemin inconnu, vers le terme où ni vos lumières ni vos efforts n’eussent jamais pu vous conduire.
En secret, sous le manteau noir
De la nuit, sans être aperçue
Ou que je puisse apercevoir
Aucun des objets de la vue,
N’ayant ni guide ni lueur,
Que la lampe ardente en mon cœur.
À l’ombre d’une obscure nuit,
D’angoisseux amour embrasée,
Oh l’heureux sort qui me conduit,
Je sortis sans être avisée
Le calme tenant à propos
Ma maison en un doux repos.
Sans appui et avec appui
sans lumière en l'obscur vivant
tout entier me vais consumant
Voilà mon âme dessaisie
de toutes les choses créées
au-dessus d'elle s'est levée
en une savoureuse vie
s'étant sur Dieu seul appuyée
alors désormais on dira
chose qui m'est du plus grand prix
que mon âme à présent se voit
sans appui et avec appui
Bien que je subisse la nuit
au sein de cette vie mortelle
mes souffrances ne sont point telles
car si la clarté me trahit
je possède la vie du ciel
car l'amour de pareille vie
plus va sans cesse s'aveuglant
et plus il tient l'âme ravie
sans lumière en l'obscur vivant
L'amour accomplit tel labeur
depuis que je sais qu'il est là
qu'avec du bien du mal en moi
il donne à tout même saveur
et l'âme il la transforme en soi
et en son savoureux brasier
qu'au centre de moi je ressens
en hâte sans y rien laisser
tout entier me vais consumant
Pendant une nuit obscure,
Enflammée d’un amour inquiet,
Ô l’heureuse fortune !
Je suis sortie sans être aperçue,
Lorsque ma maison était tranquille.
Étant assurée et déguisée,
Je suis sortie par un degré secret,
Ô l'heureuse fortune !
Et étant bien cachée dans les ténèbres,
Lorsque ma maison était tranquille.
Pendant cette heureuse nuit,
Je suis sortie en ce lieu secret
Où personne ne me voyait,
Sans autre lumière,
Que celle qui luit dans mon cœur.
Elle me conduisit
Plus surement que la lumière du midi,
Où m'attendait
celui qui me connait très bien,
Et où personne ne paraissait.
Ô nuit qui m'a conduite !
Ô nuit plus aimable que l'aurore !
Ô nuit qui as uni
le bien-aimé avec la bien aimée,
en transformant l'amante en son bien aimé.
Il dort tranquille dans mon sein
qui est plein de fleurs,
et que je garde tout entier pour lui seul :
je le chéris
et le rafraichis avec mon éventail de cèdre.
Lorsque le vent de l'aurore
fait voler ses cheveux,
il m'a frappé le cou avec sa main douce
et paisible,
et il a suspendu tous mes sens.
En me délaissant et en m'oubliant moi-même,
j'ai penché mon visage sur mon bien aimé.
Toutes choses étant perdues pour moi,
je me suis quittée et abandonnées moi-même,
en me délivrant de tout soin entre les lys blancs.
Je me tins coi et m’oubliai
Penchant sur mon ami ma face,
Tout cessa, je m’abandonnai
Remettant mes soins à sa grâce,
Comme étant tous ensevelis
Dans le beau parterre des lys.