Dans l'œuvre d'art, qui est une sorte de création cérébrale, doivent se fondre intimement les deux forces organiques de l'idéal, l'instinct et la pensée : chaleur et lumière, passion et intellect. Et de ces deux forces, une seule est réellement féconde : le sentiment. La pensée n'accomplit dans l'art qu'un travail sélectif et régulateur. Le sentiment y est le principe vital, le germe actif; il y fournit le fond, auquel la pensée imposera, avec la maturité voulue, une forme de plus en plus belle. Ainsi s'explique la puissance qui fait jaillir la poésie, rude mais généreuse, du sein des foules instinctives.
En esthétique, sinon ailleurs, le peuple est, et reste, l'initiateur suprême.
C'est que l'Art, résultat d'un travail continu de l'activité consciente et de l'activité inconsciente l'une sur l'autre dans l'homme, n'a pas moins besoin d'inspiration ingénue et spontanée que de savoir et de raison. Synthèse des facultés du cœur et de l'esprit, l'Art reste incomplet et stérile, dès qu'il cesse d'être naturel, dès que lui font défaut la sève et la fraîcheur de la jeunesse. L'Art, comme l'Amour, est un enfant dieu.
A Emile Blémont. Paul Verlaine.