La musique instrumentale de Mozart a aujourd'hui quelque chose de l'âge d'or; de plus ingénument naturel, mais aussi de plus restreint que le cercle d'idées réveillées par le génie de Beethoven. Nous avons 39 sonates de Mozart pour piano et violon. Personne ne traita plus heureusement ces deux instruments si opposés l'un à l'autre.
Il en est autrement des maîtres. Mozart nous a laissé une fantaisie pour piano à quatre mains et une fantaisie et sonate, compositions éternellement jeunes, parce qu'elles sont l'expression de sentiments vrais, fantaisies qu'il n'eut garde de nommer grandes, quand toute fantaisie d'aujourd'hui est surtout et avant tout grande. Aussi bien le génie n'eut-il jamais besoin de se hausser la taille par des talons exagérés, comme l'industrie et ses tristes concurrences.
Aujourd'hui on ne joue plus le piano, on le monte. Devenu cheval de cirque, de fougueux et intrépides cavaliers promènent ce pauvre piano aux yeux d'un public ébahi, à tant de notes par minute, et tous d'applaudir. On monte le piano sellé ou non sellé. Le non sellé c'est la fantaisie, le sellé la transcription, la romance sans paroles, le plus souvent sans rien du tout, ou la paraphrase de n'importe quelle marche, peu turque assurément, du sultan.
Le pianiste du jour veut étonner ; n'aurait-il pas tout à gagner à vouloir faire plaisir ? mais non ! l'éphémère succès du moment reste tout, et les puffiers (passez-nous l'expression) nous ayant habitués au puff, le puff est devenu une condition de l'existence du pianiste. Nous avons le passage-puff, le trille-puff, une innombrable foule de puffs : le puff amusant, le puff ennuyeux, oh ! très ennuyeux ! Pale or red ? Nay, very pale (Hamlet).
Les sonates de Beethoven sont l'homme, comme les paysages de Calame sont la nature, toute la nature, et non plus seulement un point donné.