Dominique Barbéris a reçu le Grand Prix du roman de l'Académie française pour son 11e roman "
Une façon d'aimer", paru chez Gallimard. L'autrice embarque les lecteurs dans la France coloniale des années 50 et déroule l'histoire à travers les souvenirs reconstitués de Madeleine, jeune femme simple et sans histoire jusqu'à ce que....
Photos, coupons de journaux, vêtements, la narratrice remonte le fil de cette vie à la fois discrète et mélancolique. Elle est l'invitée de
Géraldine Mosna-Savoye et Nicolas Herbeaux.
#littérature #souvenir #memoire
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Elle a confié un jour à Sophie : « Tu vois, je crois que maintenant je n’aimerais pas être jeune, ça ne m’intéresserait plus. » Et comme Sophie s’en étonnait : « Je ne sais pas. C’était autre chose. Et puis, j’ai eu ma part. Maintenant, je me sens étrangère. »
Prigent n’était pas pressé. Il avait des informations à glaner. Il écoutait ce qui se disait. Et ce soir-là, il resta tard. Il bavarda longtemps, paraît-il avec Elizabeth Shermann. Elle était en blanc, elle s’habillait toujours en blanc. Elle n’était plus si jeune, les hommes le voyaient bien, mais la nuit, elle faisait penser à une fleur de frangipanier dans l’ombre. Quand ils se souviendraient d’elle, ils se rappelleraient une fleur de frangipanier dans l’ombre. Prigent, coudes sur les genoux, le menton dans une main, la faisait rire. On entendait ce rire aigu depuis le coin où ils était assis. La tension baissait par degrés. L’orchestre était parti, mais de temps en temps, dans un coin du jardin, une voix d’homme recommençait à chanter :
Je sais bien tu l’adores
Bambino, Bambino
Il y avait des applaudissements et des rires.
C'était toute la paix qu'on peut parfois, à certains moments, retirer de la vie, cette paix fragile , si provisoire que nous avons si peur de perdre , dont on goûte, certains soirs , le sentiment si blessant, si aigu: un temps comme arrêté, une fin d'été, des bruits de voix dans un jardin, une lampe allumée à une fenêtre.
Qui nous connaît vraiment ? Nous disons si peu de choses, et nous mentons presque sur tout. Qui sait la vérité ? Ma sœur m’avait-elle vraiment dit la vérité ? Qui la saura ? Qui se souviendra de nous ? Avec le temps, notre cœur deviendra obscur et poussiéreux comme le cabinet de consultation du docteur Zhang.
Une salle d’attente où on attendait toute sa vie. Aucun bruit de l’autre côté. Aucun signe.
Je sentais une sorte d’angoisse. Je me disais toujours : Si elle s’était trompée ? Qui est-ce que j’attends, moi aussi ? Qui, pour moi, est venu ?
" Mais elles se taisaient .
Elles avaient peur que l'une dise: elle a changé, tu ne trouves pas? Parce que la remarque aurait pu s'appliquer aussi à elles, dans une certaine mesure, il était indéniable que depuis 81, elles aussi avaient changé. Elles préféraient ne pas creuser cet aspect des choses. "
Elle rêvait certainement d'être une pianiste élégante et raffinée que les hommes admireraient. Elle était peut-être amoureuse de son professeur de piano. Un classique.
Et malheureusement, le professeur de piano dirait : " Ce n'est pas fameux ; mais pas fameux du tout."
C'était ainsi, la vie ; on essayait de porter vaillamment ses rêves ou ceux des autres.
Qui nous connaît vraiment ? Nous disons si peu de choses, et nous mentons presque sur tout. Qui sait la vérité ? Ma sœur m'avait-elle vraiment dit la vérité ? Qui le saura ? Qui se souviendra de nous ? Avec le temps, notre cœur deviendra obscur et poussiéreux comme le cabinet de consultation du docteur Zhang.
[......] ; une devinette inscrite sur un cadran solaire romain : Toutes blessent, la dernière tue.
Je pensais à ces foules qui en ce moment même sortaient des parcs et des jardins publics. Peut-être que la plupart des hommes traînent les dimanches soir avec la peur de voir la journée finir, la peur d'ébranler en eux une tristesse ancienne ; peut-être que cette tristesse, nous la partageons tous, cette tristesse qu'on sent quand les choses ferment, quand elles finissent.
Je vous comprends, m'avait-il dit. Moi aussi, j'aime marcher le soir, et ce chemin est agréable au bord du fleuve. Ici, il n'y a rien d'autre. Le sport ou la télévision. Des kilomètres pour trouver un cinéma. L'eau c'est comme une présence. On ne sait pas exactement pourquoi. Peut-être parce que ça reste clair aussi tard. Je suis comme vous. J'aime bien la marche. C'est une médecine comme une autre. Dans la vie, il y a un cap difficile à passer, vous ne trouvez pas ? C'est le même pour tout le monde. Le milieu. Penser que c'est le milieu, qu'après il sera trop tard, qu'il est peut-être trop tard déjà. Quand on regarde derrière soi, on voit tout ce qui ne va pas, tout ce qu'on aurait dû faire ; on a l'impression de comprendre. Mais quand on regarde devant soi, c'est plutôt noir, il faut l'avouer. On éprouve le besoin de marcher, de se dégourdir les jambes.