Citations de Beyrouk (37)
Je ne dois pas lâcher cette portion d'amour qui m'attend, la seule que je puisse encore espérer.
J'ai déjà hâte de la chercher, d'aller suivre ses traces, de flairer chaque arpent de sable qu'elle a emprunté, d'escalader les montagnes qu’elle a peut-être franchies et de savoir...Je ne saurais plus vivre sans savoir.
Si vous voulez survivre, allez sur nos pas ! Car vous-mêmes, vous n'êtes plus que des fantasmes : des rois avec du sable et des vents pour couronnes !
Atar et ses habitants ne m'aimaient pas. Ils me dévisageaient, hilares, comme si je venais du ciel, ou d'une contrée bizarre, ils chuchotaient, ils ricanaient, je les entendais bien, "C'est une bédouine !", et alors ! répondais-je en moi-même, croyez-vous que j'en ai honte, croyez-vous que vos saletés de citadins, vos yeux perdus sans destin, les prisons où vous habitez, les montures sans vie que vous utilisez, croyez-vous que tout cela me tente, vous croyez-vous meilleurs, vous qui ne vous arrêtez pas pour parler, qui ne vous saluez même pas quand vous vous croisez, ou si peu, pressés pour survivre, seulement survivre, sans goûter au temps ?
Je connais beaucoup de gens qui seraient contents de me voir dans cet état ; ils m’ont jalousé, ils avaient eu du mal à accepter ma réussite, ils aimaient à me rappeler les années de faim et de misère quand ma mère vendait de la menthe pour que je puisse aller à l’école. Comme si la pauvreté était une honte !
tous, je les aime, je pense à eux, et ça fait mal, je te jure, parce que c'est pas bon d'aimer beaucoup les gens, ça donne mal au ventre quand ils sont loin, ou qu'ils ont quelque chose, et puis ça rend trop malheureux, et puis tu sais pas, c'est trop dur, car moi, maintenant, chaque fois, j'ai envie de pleurer et c'est pas bien, ça, faut rester un homme, n'est-ce pas?
Ma mère et moi, je me disais aussi, nagions dans deux mers séparées : nous ne nous rencontrerions jamais plus, nous n'aborderions jamais les mêmes vagues, nous ne saurions peut-être jamais plus nous regarder vraiment.
Même si son patron crie toujours sur lui et l'insulte, Momo ne dit jamais rien, il est vraiment devenu un homme, il va pouvoir devenir mécanicien à temps plein, c'est sûr.
Un jour, on jouait au moriba, moi je courais pour me cacher et Sara m'a vu, elle m'a mis le pan de son voile sur la tête. "Voilà, je te cache !". Elle sentait bon, j'étais comme évanoui, tellement j'étais heureux, et ma tête était près de son ventre, de ses aisselles, il m'est même arrivé quelque chose en bas, mais Momo, il m'a grondé après : "Faut plus te cacher sous les femmes, c'est pas bien", j'ai pas répondu.
Ils ne connaissent pas la peur les gens de ta tribu, c'est vrai, et ce sont souvent de bons poètes, c'est vrai, et même, ajouta-t-elle, ils savent être généreux, c'est vrai, mais ce sont des pillard, m'a-t-elle averti, qui ne connaissent rien à rien, qui ne respectent rien, seulement eux-mêmes ou les rares tribus auxquelles ils sont alliés...
Est-ce qu’ils lisent des livres, ces gens qui nous tourmentent ? Non, certainement non, ils se s’intéressent qu’à ce qui conforte leur rhétorique fanatique, ils rejettent sans réfléchir tout ce qui n’entretient pas leurs folles certitudes, ils ne donnent aucune chance aux questions, car réflexion peut être doute, et leur demeure mentale si fragile s’ébranlerait s’ils laissent paraître les moindres lésions. Il n’y a d’ailleurs plus de livres dans notre cité. Depuis que les parvenus se sont installés, depuis qu’ils ont remplacé les anciens colonisateurs, ils ont tué les bibliothèques et assommé la culture.
Que serions-nous devenus si les vents du désert nous avaient éparpillés ? Mes nomades tendraient aujourd'hui d'une main émaciée des sébiles tremblantes aux portes des mosquées ; ils habiteraient des masures de carton et de tôles dans les périphéries crasseuses des nouvelles cités.
Tout à l'entour, le sable a léché tout ce qui est vert et remue. Les dunes blanches se sont confortablement assises au-dessus des squelettes des volontés humaines. Les palmeraies, les puits, les champs, les demeures ont été ensevelis au son de la symphonie haletante des vents.
Et puis Oualata n'est vraiment pas une ville de chez nous, elle a tellement emprunté à tout le monde qu'elle ne sait plus elle-même ce qu'elle est, trop savante, trop coquette certainement pour nous autres, prudes bédouins, elle a embrassé les beautés de l'empire du Mali quand celui-ci était grand, elle a tout pris aux Almoravides quand ils avaient encore une foi, elle a trompé les Marocains, les arabes Maghil, les conquérants fanatiques peuls, les Oulad Mbarek, la tribu des Mechdhouf, tous croyaient qu'ils l'avaient conquise, mais non, elle les a tous trompés, elle leur a volé un peu, l'essentiel, et elle est retournée à ce qu'elle est toujours, Oualata, coquette mais dédaigneuse de ce qui n'est pas elle-même.
Je te parle de moi, comme si tu ne savais pas tout, comme si mon histoire ne t'avait pas écorchée vive, comme si tu ne comptais pas tes blessures comme autant de témoignages de mes mensonges, de ma suffisance, de ma folie à te vouloir à mes côtés, coûte que coûte.
" Depuis toujours le peuple s'agglutine sur les places publiques pour voir souffrir puis mourir les condamnés. Ils n'ont rien inventés, les exaltés d'aujourd'hui. Ils ont seulement fait revivre la vieille nostalgie du sang."
Il faut que demain revienne, et les couleurs du jour, et le sourire des gens et le soleil sur les joues des filles. Je ne veux plus regarder autour de moi. Je veux scruter la brillance des étoiles pour y lire les joies qui m'attendent. Elles doivent bien exister les heures qui caressent, les moments où on sent se lever en soi les poésies du soir. J'essaye de déchiffrer les rumeurs du silence, parce que tout se tait maintenant, les tumultes d'aujourd'hui sont éteints, il n'y a qu'un espace immense et moi, nous deux seuls, moi et le rien, ou bien moi et et le tout, je peux crier et personne ne m'entendra, je peux insulter l'univers entier, je peux m'ôter les habits et courir librement, je peux lancer toutes les insanités du monde, je peux même réfléchir si je veux, tout est possible ici, sauf les autres. Je veux maintenant sous ce ciel bleu qui se tait écrire de nouveaux mots qui puissent me valoir absolution. J'éteins les cris qui se profilent et les images cruelles qui veulent me voler la vie, qui tentent de s'infiltrer en moi, non, je veux tout étouffer et appeler de nouvelles lumières.
Pourquoi appeler des lendemains qui se taisent, des échos qui ne répondent pas, quémande des mains encore inconnues, tracer des sentiers aux ramifications infinies, réfléchir aux choses que refusait l'esprit.
- Je sais bien, vous les hommes, vous n'avez que ces mots à la bouche, "la loi et la religion", surtout quand cela vous sert....
Que me reste-t-il à aimer ? Il n'y a que ma petite sœur, et celle-ci est partie, elle s'est enfuie sans regarder en arrière, sans se soucier du désespoir dans lequel elle m'a laissée. J'ai appelé cela trahison, mais aujourd'hui je ne sais plus si un cœur qui aime ne doit pas absoudre, si je ne dois pas pardonner un peu.
Je m'en veux un peu d'avoir peur. Mais quel mal y a-t-il à aimer la vie ? Et comment arrive-t-on à s'offrir à la mort et entraîner celle des autres ? J'ai toujours mal au cœur quand je m'imagine un corps déchiqueté, ses membres volant à part, l'extrême mutilation. Quel paradis accepterait un homme tout en lambeaux et emportant avec lui d'autres au trépas, des personnes qu'il ne connaît même pas ? A quel commandement divin obéit-on quand on sème la désolation et la peur chez des innocents ? Ils ont osé le montrer à la télévision, un terroriste, en mille morceaux, j'ai vomi avant de pleurer, ils ne savaient pas qu'il était déjà mort depuis longtemps, pour lui-même.