C'est un très beau roman que nous offre Beyrouk.
Deux belles histoires qui s'entrecroisent, deux personnages qui se volent la vedette.
D'un côté nous avons le père, en prison, qui s'adresse à sa femme. Ses souvenirs défilent, dans une expression très poétique, il relate le début de leurs amours. Il a tout quitter: sa famille, son désert, sa vie itinérante pour pouvoir avoir la chance de vivre à ses côtés, elle la citadine, sa princesse, il la couve de son amour débordant. Mais la belle famille ne l'entend pas de cette oreille.
De l'autre côté, nous avons leur fils qui a été recueilli par une famille modeste, en périphérie de la ville où est emprisonné son père. Il ne souhaite que deux choses : voir son père, lui parler, mais aussi pouvoir approcher sa petite soeur Malika, que son oncle-le-frère-de-sa-mère lui interdit de voir. En attendant il traîne ses guêtres en compagnie de son copain Momo, chef de leur bande. C'est un gosse de la rue.
Au fur et à mesure des chapitres, on en apprend un peu plus sur cette famille déchirée.
Une rencontre de choc entre deux cultures, celle des bédouins du désert et celle de la vie citadine.
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Mbarek Ould Beyrouk est un écrivain mauritanien. Son roman est très poétique malgré la dureté de la vie et des propos de ces personnages. Un récit à deux voix (celle du père prisonnier et celle du garçon qui ne doit pas être bien vieux) qui raconte l'horreur vécue par une famille et ses conséquences : la disparition de la mère, la mise aux arrêts du père et la séparation des deux enfants, l'une chez un oncle et le deuxième chez des voisins. Misère, pauvreté, violence et malgré tout poésie. Un roman singulier par le ton, la forme et le contenu.
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Une fois n'est pas coutume, c'est par les premières lignes de ce roman que je débuterai ma chronique, pour tenter de vous faire comprendre comment j'ai plongé et me suis laissée emporter sans aucune résistance dans ses pages.
« LE PERE
MA VIE,
Je t'écris à travers les mots, tu sais bien combien ils savent cacher les choses, les mots. Je t'écris au-delà de cet écran noir qui veut nous séparer, ce fleuve de vacarme et d'oubli. Je veux traverser les frontières de l'inconnu et aller vers toi, dans ton royaume de lumières, là où tu m'attendras en silence. Je veux te rencontrer au-delà des mots. » (p.7)
Ce livre débute donc par cette lettre si pleine d'amour, écrite à son épouse par un homme en prison. Au fil des pages, il remonte le passé et les débuts merveilleux de cette relation d'amour naissante entre eux alors qu'ils étaient jeunes : lui, Bédouin arrivé en ville pour étudier et elle, citadine rêvant d'argent et de confort. En avançant dans notre lecture, nous prendrons la mesure des enchaînements tragiques qui l'ont amené là, tout comme ils ont amené leur fils à vivre, privé de sa soeur, chez un bienveillant voisin.
Les chapitres sont, en alternance, la voix du père et la voix de l'enfant, chacun nous ouvrant son âme, son environnement et ses sentiments. le père nous touche par une écriture emplie de poésie pour parler de ceux qu'il aime, de ses origines bédouines et des incompréhensions grandissantes entre lui et son aimée, et le fils, dans un ton plus descriptif et adapté à son âge, évoque son quotidien en ville ou dans le désert, ses amis, sa famille de coeur ou de sang, et ceux qui lui manquent tant. le grain du papier, lisse et doux, amène une qualité supplémentaire à la lecture, et l'accompagne parfaitement.
Je n'ai pas envie de trop vous dévoiler cette histoire, tant je pense qu'elle vaut la peine d'être lue. Sachez seulement que d'insouciante comme le sont les relations amoureuses débutantes, le mensonge, la froide réalité et la laideur ont rattrapé celle qui unit ce père à sa femme. Beyrouk a une écriture qui m'a complètement envoûtée, et donné envie de continuer à le découvrir. Il nous conte ici une histoire humaine, qui suscite la réflexion et remet en question nos jugements : sans tout accepter, peut-il être possible de tenter de comprendre cependant ?
En résumé, un magnifique chant d'amour tragique, aux couplets alternés d'un père et d'un fils qui pleurent la même absence…
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Le père et le fils alternent leurs propos après "ça" qui a bouleversé leur vie.
Un peu agacée par le chant d'amour du père qui s'adresse à celle qu'il a aimée comme si elle était toujours là; il finit quand même par donner les raisons de son acte. Aveuglé par son amour, il ne se rend pas compte du fossé qui le sépare de la femme qu'il a réussi à épouser au mépris des traditions. Il a menti tout le temps promettant la richesse à cette femme futile (je l'ai trouvée antipathique et tellement superficielle.) Il a quitté sa vie de nomade, sa famille élargie et ses bêtes qu'il a vendues, ce qui est impensable chez les bédouins, les peuls, les nomades en général...L'argent ne les intéresse pas, leur richesse, c'est le troupeau qu'ils mènent dans le désert vers un point d'eau ou de quoi se nourrir.
Les propos du fils m'ont beaucoup plus émue: il ne comprend pas: sa mère est morte, son père est en prison; on le sépare de sa petite soeur (reprise par la famille de la mère) lui ne parvient pas à se faire à la vie nomade qu'on veut lui imposer ainsi que le Coran, il fuit pour retrouver le quartier où il a vécu avec sa famille et ses copains, même si la vie est loin d'y être facile.
Le style du père est souvent poétique, celui du fils naïf et prosaïque. Les vies des pauvres, nomades ou sédentaires sont bien vues.
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tous, je les aime, je pense à eux, et ça fait mal, je te jure, parce que c'est pas bon d'aimer beaucoup les gens, ça donne mal au ventre quand ils sont loin, ou qu'ils ont quelque chose, et puis ça rend trop malheureux, et puis tu sais pas, c'est trop dur, car moi, maintenant, chaque fois, j'ai envie de pleurer et c'est pas bien, ça, faut rester un homme, n'est-ce pas?
Un jour, on jouait au moriba, moi je courais pour me cacher et Sara m'a vu, elle m'a mis le pan de son voile sur la tête. "Voilà, je te cache !". Elle sentait bon, j'étais comme évanoui, tellement j'étais heureux, et ma tête était près de son ventre, de ses aisselles, il m'est même arrivé quelque chose en bas, mais Momo, il m'a grondé après : "Faut plus te cacher sous les femmes, c'est pas bien", j'ai pas répondu.
Je te parle de moi, comme si tu ne savais pas tout, comme si mon histoire ne t'avait pas écorchée vive, comme si tu ne comptais pas tes blessures comme autant de témoignages de mes mensonges, de ma suffisance, de ma folie à te vouloir à mes côtés, coûte que coûte.
Même si son patron crie toujours sur lui et l'insulte, Momo ne dit jamais rien, il est vraiment devenu un homme, il va pouvoir devenir mécanicien à temps plein, c'est sûr.
Moi j’avais bien envie parfois de retourner en classe, il y faisait toujours sombre et on était protégés du soleil, et puis il y avait tellement d’élèves que le maître ne pouvait rien dire et qu’on pouvait s’amuser, et à la récréation, on faisait plein de jeux, sauf que les plus grands nous rançonnaient un peu, mais, ça, c’est pas grave, c’est normal, d’ailleurs moi j’avais toujours des habits propres, mes cahiers aussi, enfin presque. Seulement, depuis que « ça » est arrivé, je peux plus y aller, ils sont trop méchants, les enfants.
(p. 45, “Le fils”).
VLEEL Acte II Rencontre littéraire avec 6 éditeurs qui présentent leur rentrée littéraire 2022